F-Zero GX : l'épisode maudit ?



Titre absolument mythique sur Gamecube, F-Zero GX a pourtant sonné le glas de cette série de course futuriste née sur Super Famicom. Depuis 2003 et cet épisode démentiel développé en collaboration avec SEGA, Nintendo a totalement délaissé sa licence (si l'on excepte le F-Zero Climax sorti exclusivement au Japon sur GBA). Depuis dix ans, chaque année voit poindre des rumeurs et la déception est à la hauteur des espérances. Pour plusieurs raisons qui nous échappent, F-Zero GX demeure presque un sujet tabou pour la firme de Kyôto et ce malaise est représentatif d'un développement chaotique qui a laissé des traces. Malgré ses extraordinaires qualités (qui sont à la fois visuelles, ludiques et sonores), F-Zero GX est clairement considéré comme un vilain canard par Nintendo, et surtout par Shigeru Miyamoto. Aujourd'hui, avec du recul, il est intéressant d'analyser cette situation ubuesque. Ou comment un jeu phénoménal et culte aux yeux des joueurs (à la fois en arcade et sur console) est devenu une infamie pour ses créateurs originaux...

Retour en 2002, précisément le 18 février. Ce jour-là, Nintendo annonce la venue prochaine d'un nouveau système d'arcade réalisé conjointement avec les deux pontes des salles enfumées : SEGA et Namco. Cette carte, au nom évocateur de Triforce, est amenée à exploiter des jeux toujours plus spectaculaires, tout en s'appuyant sur l'architecture de la Gamecube. Un mois plus tard, Nintendo et SEGA annoncent leur collaboration pour la réalisation d'un épisode inédit de la série F-Zero. Développé par l'équipe de Toshihiro Nagoshi (Amusement Vision, studio appartenant à SEGA), le jeu est produit par Shigeru Miyamoto et supervisé par Takaya Imamura, membres éminents de Nintendo. 

A la sortie du jeu, voici les discours que l'on a pu lire ou entendre :

Toshihiro Nagoshi (SEGA - Amusement Vision)

"Pour être totalement honnête, j'étais vraiment nerveux avant de développer ce jeu. Malgré mes dix ans de carrière, la création d'un nouvel épisode d'une série aussi populaire fut un sacré challenge. A cette pression, il faut ajouter qu'il s'agit de la première collaboration entre Nintendo et SEGA, si bien qu'on a voulu faire forte impression. Et puis, difficile de ne pas mentionner que les jeux F-Zero font partie de mes préférés. Au départ, mes craintes m'ont poussé à refuser le projet mais finalement ma curiosité a pris le dessus et nous sommes parvenus à surmonter nos peurs. Une fois que le développement a commencé, ces craintes se sont vite estompées. Certes, il y avait parfois des décisions difficiles à prendre, mais je me suis appuyé sur ma passion de la série pour avancer. Avec l'aide de Nintendo, nous avons créé un jeu de course exceptionnel qui combine les meilleurs éléments du passé avec des idées nées de nos talents combinés. Ce fut un honneur de travailler sur ce projet et je suis très satisfait du résultat final. J'espère que les fans de la série et même sont ceux qui le découvrent apprécieront ce titre."


Takaya Imamura (Nintendo)

"Pour dire la vérité, j'étais assez anxieux avant de débuter le développement du jeu. Cette anxiété mêlée d'excitation m'a poussé à imaginer un F-Zero s'incorporant parfaitement à notre nouvel hardware et les technologies d'aujourd'hui. Quand j'ai appris que nous allions travailler avec M. Nagoshi, le créateur du célèbre Daytona USA, mon excitation a monté d'un cran. Dès la première réunion avec Amusement Vision, nous savions que ce F-Zero allait surpasser tous les autres. Amusement Vision est parvenue à conserver la vision originale de la série tout en apportant de nombreux éléments inédits et des tas de défis. Nous sommes très heureux pour les joueurs qui vont découvrir ce F-Zero, que ce soit en arcade ou chez eux."

Shigeru Miyamoto (Nintendo)

"Bien que je connaisse M. Nagoshi depuis un certain temps, l'impression que j'ai de lui est celle d'un créateur absolument unique. Et maintenant que ce F-Zero est terminé, mon impression n'a pas changé. Amusement Vision était le meilleur choix pour l'élaboration de ce nouvel épisode de la série réalisé en collaboration avec Nintendo. Cette entente a donné naissance à une véritable évolution de la série. Non seulement nous avons renforcé l'impression de vitesse et l'immersion, mais nous avons également élargi l'univers de F-Zero. Nous avons également mis en place un système de sauvegarde exploitable à la fois en arcade et sur Gamecube. Nous vous invitons à prendre votre carte mémoire et à vous rendre dans les salles d'arcade afin d'essayer ce système."


Lorsque le jeu débarque, la claque est totale. Graphismes fantastiques, impression de vitesse démentielle, durée de vie colossale, musiques dantesques, maniabilité réglée au millimètre... F-Zero AX (Arcade) ou GX (Gamecube) devient un vrai phénomène. Les joueurs européens découvrent le jeu en octobre 2003 et les notes de la presse spécialisée sont sans équivoque : il s'agit d'un des meilleurs jeux de course de tous les temps. Avec 89% sur Metacritic, le titre de Nintendo et SEGA est tout simplement une merveille. Il s'agit d'une belle récompense pour Toshihiro Nagoshi qui a toujours dit s'être inspiré de F-Zero pour créer Daytona USA. Longtemps, le créateur de SEGA a pourtant été dubitatif et redoutait que la différence de mentalité entre SEGA et Nintendo ne vienne ébranler le développement du jeu. Dix ans après, les langues se sont déliées et les "belles paroles" de 2003 ont pris quelques rides.

En 2003, Nagoshi-san déclarait ceci. "J'ai vraiment apprécié de travailler sur la série. Je respecte les opinions de Nintendo et du producteur Shigeru Miyamoto. J'ai d'ailleurs souvent cherché son avis sur le projet et la manière de diriger l'équipe. L'approche de SEGA pour le développement des jeux est très différente de celle de Nintendo, c'est pourquoi ce fut une expérience rafraîchissante. Par exemple, de mon côté, je pense que le moteur 3D est l'un des points les plus importants, tandis que Nintendo se focalisait plus sur le design des vaisseaux, la conception des pistes et d'autres éléments. En fin de compte, les deux approches ont été intégrées, puisque nous avons passé du temps à ajuster les vaisseaux et les pistes, tout en résolvant des problèmes. Chaque méthode était intéressante." En 2010, le site SPONG a eu la chance d'interviewer le créateur à nouveau et le journaliste a eu l'idée de poser une question sur F-Zero GX. Et la réponse est aussi courte qu'évocatrice.

Spong : Amusement Vision a été impliqué dans le développement du jeu F-Zero GX qui est une licence Nintendo. Aimeriez-vous travailler à nouveau avec d'autres studios ou éditeurs dans le futur, ou pensez-vous que cette expérience sera la seule vous concernant ?

Toshihiro Nagoshi : "Je suis partant pour collaborer dès lors que les circonstances sont favorables. La collaboration avec d'autres studios est souvent riche d'enseignements. Avec F-Zero, j'ai appris une bonne leçon."

La phrase est courte mais on ne peut plus cinglante. Ca ne serait pas la première fois qu'un développeur se plaint des méthodes de travail et de l'attitude parfois déraisonnée de Shigeru Miyamoto, mais là les choses sont claires. Malgré l'excellence du jeu, on comprend bien que le développement a été un calvaire et que les tensions ont dû être nombreuses. En menant l'enquête un peu plus loin, on découvre une interview donnée au site Wiitalia, un site italien consacré à la Wii U. Les paroles de Nagoshi-san sont plus douces mais le message véhiculé est le même. "Nintendo a une politique qui dicte des règles très strictes et rigoureuses pour la réalisation de leurs jeux. Ils suivent vraiment ça au plus haut niveau. En travaillant ensemble, les deux sociétés (SEGA et Nintendo) ont été obligées de faire des compromis en raison des divergences sur différents points de vue, notamment l'aspect visuel et le côté convivial du jeu. C'était un peu difficile de communiquer avec eux, surtout avec la maison-mère à Kyôto. Mais en dehors de cela, il n y avait pas de problèmes majeurs. Cependant, il est clair qu'on a traversé des périodes très stressantes par moment."

Du côté de SEGA donc, les choses n'ont pas été faciles. Mais qu'en est-il pour Nintendo ?

A la question "Existe t-il des jeux qui auraient pu être très fun mais qui n'ont pas suivi la direction que vous souhaitiez ?", voici ce que répond Shigeru Miyamoto : 

 "Oui, c'est arrivé par le passé. Nous avons notamment travaillé avec d'autres éditeurs dans le cadre de F-Zero et Starfox et laissez-moi vous dire que nous avons été déçus par les résultats. Les consommateurs étaient très excités par ces titres, mais le résultat final ne correspondait pas à leur attente."

Là encore, on ne peut qu'être surpris d'un tel manque de respect et de mauvaise foi. Comment un homme comme Shigeru Miyamoto peut fustiger un jeu comme F-Zero GX alors qu'il a fait vendre des Gamecube à l'époque, tout en restant dans le cœur des joueurs ? Peut-on parler de jalousie ? Ou bien d'un développement qui a mal tourné ? Nintendo a sans doute proposé ses idées (surtout que Shigeru Miyamoto était le producteur du jeu) mais certaines ont été refusées par SEGA (et vice-versa). Avouez qu'il y a quand même de quoi parler d'un véritable malaise. Un jeu aussi démentiel que F-Zero GX qui se prend un vent de LA personnalité emblématique de Nintendo, ça n'a pas de sens !

C'est pourtant la réalité et c'est aujourd'hui un vrai problème. F-Zero GX est un épisode incroyable mais il a visiblement entamé la motivation de Nintendo pour réaliser un autre opus. Cela fait désormais plus de dix ans que l'on attend un nouveau volet.... en vain. Et nous sommes visiblement partis pour attendre longtemps si on en croit les dernières déclarations de Shigeru Miyamoto à ce sujet. "Je comprends que les joueurs souhaitent un nouveau jeu F-Zero. Mais à l'heure actuelle, je n'ai pas vraiment de bonnes idées pour apporter du neuf à la série et en faire de nouveau un grand jeu. Evidemment, je vois à travers Mario Kart 8 et l'antigravité une certaine connexion avec F-Zero. Mais à l'heure actuelle, je ne sais pas dans quelle direction nous pourrions aller avec un nouvel épisode."

En fait, Nintendo est dans un vrai dilemme aujourd'hui. Ils comprennent pertinemment que F-Zero est cher aux fans de la marque mais savent également que les ventes ne suivront pas forcément. Cela a été le cas pour F-Zero GX, exceptionnel de bout en bout, mais dont les chiffres de vente n'ont pas satisfait la firme de Kyôto. Par ailleurs, on sait que F-Zero X est l'épisode ultime pour Miyamoto et qu'il considère F-Zero GX comme un F-Zero X en plus beau. Or, depuis tout le temps, Nintendo met un point d'orgue à apporter des idées de gameplay inédites (même si, ces derniers temps, on a de quoi pouffer en voyant l'originalité de leurs jeux) et il y a fort à parier que la série ne reviendra pas sans qu'un nouveau concept ne soit imaginé. Ceci dit, la Wii U souffre terriblement et Nintendo n'a plus d'autres choix que de proposer de très grosses licences. Dans ces conditions, on peut rêver à un nouveau F-Zero mais il va falloir tout de même croiser les doigts très fort. Ce qui est amusant, c'est que F-Zero GX est un jeu fantastique et qu'il est pourtant né dans un climat assez complexe. De la même manière, cela fait penser à Sonic the Hedgehog 2, considéré par beaucoup comme le meilleur Sonic de tous les temps, mais reste le fruit d'un développement chaotique (tensions entre américains et japonais à cause des différences de mentalité, problème de langue, de visa...). Le monde du jeu vidéo est parfois étonnant.

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