L'HISTOIRE DE
INTERVIEW
DAVID ROSEN
Cette interview n'est absolument
pas de moi, elle a été réalisée par Steven L. Kent. C'est traduit de l'anglais,
mais cela offre un angle très intéressant sur la naissance de SEGA, angle qui
vient s'inscrire dans mon désir d'être le plus exhaustif possible dans
l'écriture de l'Histoire de SEGA.
Interview originale, réalisée par Steven L. Kent, sur son ancien site, désormais inaccessible. D'où l'utilisation du site Web Archive pour retrouver la trace de l'interview.
Quand vous serviez
l'armée américaine, étiez-vous au Japon ?
En
Extrême-Orient en fait, et ça comprend le Japon. C'était avant et pendant la
Guerre de Corée.
Vous vous souvenez
des années précises ?
Je
vais essayer parce que euh... Voyons, c'était au début des années 50 et ce fut
la fin de l'administration Truman. Et bien sûr, MacArthur voulait aller en
Chine. Donc, je vais dire que c'était au début des années 50. C'était entre 49
et 52.
Vous étiez basé en
Corée du Sud ?
Non,
c'était dans le... en fait, j'étais dans une unité qui a voyagé un peu. J'ai
commencé par Shanghai puis ensuite Okinawa. J'étais en Corée pendant la guerre,
avant de retourner au Japon. Mais la plupart du temps, j'étais au Japon.
Et vous avez choisi
de rester au Japon après être libéré de vos obligations militaires ?
Non,
en fait je suis retourné à New York pour un court laps de temps. J'avais créé
une société au Japon avant même d'être libéré de mes obligations militaires. Je
suis retourné à New York en ayant l'intention de trouver un moyen de promouvoir
mon activité aux États-Unis, tout en prenant des cours supplémentaires afin
d'obtenir un diplôme. Et il s'est avéré que j'ai décidé de tout stopper et je
suis retourné au Japon dès que j'en ai eu l'occasion.
Mais la société
s'appelait déjà SEGA ?
Non,
non, c'était une société que j'ai appelé Rosen Enterprises, Inc et... euh, non,
excusez-moi, Rosen Enterprises, Ltd. Et ma première activité, assez
étrangement, se résumait à de l'art ce qui était assez éloigné de la gestion
habituelle des entreprises japonaises de l'époque. Dans ces années-là,
l'économie du Japon était celle de l'après-guerre et par conséquent, il y avait
beaucoup de chômage. Les artistes faisaient ce qu'on appelait de la
"peinture de portrait". J'ai créé une entreprise qui faisait des
portraits à partir de photos. Cette entreprise n'a pas vraiment fonctionné et
les résultats furent assez mitigés.
Donc, vous n'êtes
pas resté dans ce secteur d'activité j'imagine.
En
fait, je suis retourné au Japon avec l'idée d'un autre, ma deuxième idée
consistait en... En gros, à ce moment-là, les Japonais avaient un grand besoin
de photos d'identité. Vous aviez quasiment besoin de photos pour tout : pour le
cursus scolaire, pour les rationnements de riz, pour les cartes de transport
ferroviaire et bien sûr pour l'emploi. Là, on parle des années 1953 et 1954, et
les studios de photos demandaient dans les
250 yens l'unité et ça mettait environ 2 à 3 jours pour obtenir les
photos. Et en fait, j'ai pensé aux photomatons que nous avions aux États-Unis,
à 0,25 $ les 4 photos (à l'époque, c'était 0,25 $). On appelait ça les
photomats.
Vous parlez des
petites cabines de photos ?
Oui,
enfin des petits stands, et ils ont été ensuite entièrement automatisés. En
testant le concept, je me suis rendu compte que ce n'était pas vraiment
approprié pour les photos d'identité, car après un ou deux ans, le film
s'estompe. J'ai estimé que c'était surtout dû à un mauvais contrôle de la
température. De toute manière, les machines ne contrôlaient pas la température
et les gens se fichaient de savoir si la photo allait durer deux ans. C'est
pourquoi, en faisant une étude, j'ai décidé que l'on pouvait mieux gérer cette
notion de température, pour allonger la durée des photos sur plusieurs années,
de l'ordre de 4 ou 5 ans. J'ai alors imaginé un système semi-automatique, avec
quelqu'un installé dans une cabine à l'arrière du photomaton qui développe les
photos à la bonne température.
Vous avez utilisé
des photomats ?
En
fait, j'ai pris quelques machines assez anciennes qui étaient aux États-Unis et
je les ai redesignées avant de les importer au Japon. J'ai appelé le concept
"Photorama"et nous avons installé un premier duo de stands. Ce fut un
grand succès. Il me semble que c'était de l'ordre de 150 à 200 yens niveau
tarif, c'était moins que ce que réclamaient les photographes, et on pouvait
obtenir les photos en deux ou trois minutes. En japonais, on a appelé ça Nifun
Shashin, ce qui signifie en gros "votre photo en deux minutes !". Et
Photorama était le nom de la marque. C'est devenu un tel succès que ça m'a
permis, durant une courte période, d'installer pas moins de 100 stands de ce
type à travers le Japon. Il n'était pas rare, à certains moments de l'année -
notamment dans le cadre scolaire (on peut imaginer pour la rentrée ou avant les
examens) - de faire une heure à une heure et demi de queue pour pouvoir faire
ses photos !
Pour une photo de
trois minutes ?
Pour
une photo de deux minutes. Comme je l'ai dit, c'était un grand succès. Cela
nous a aussi permis d'être plus impliqué dans le domaine civil, ce qui était
très rare à l'époque. Il y avait peu d'étrangers qui pouvaient se targuer
d'être impliqués dans ce type de marché.
Ca ressemble à
l'édification d'un empire.
Oui,
mais si les photomats ont été un grand succès, c'était au détriment des studios
de photos. Cela affectait grandement leur activité, si bien qu'un jour, j'ai
reçu un appel du Consulat Américain m'expliquant que mon activité était
considérée comme une injustice américaine au cœur d'un petit secteur. A ce
moment-là, j'ai décidé de travailler sur ce que je crois être la première
franchise du Japon. J'étais d'accord pour proposer le système que j'avais
inventé à quiconque voulait l'utiliser. En clair, on fournissait le film sur la
base d'une franchise et ils pouvaient ainsi utiliser les stands Photorama, etc.
Je ne me souviens plus du nombre exact mais on a ouvert plus de 100 studios
franchisés. Et comme c'est souvent le cas, la concurrence a étudié le concept
et il a été reproduit par d'autres personnes. Et finalement, la concurrence a
fait rage et nous avons fermé cette division quelque part au début des années
60.
Mais le Japon était
aussi protectionniste qu'il ne l'est maintenant ?
Je
ne suis pas vraiment d'accord avec cette affirmation, que ce soit maintenant ou
à l'époque. Le Japon n'a jamais été contre les entreprises étrangères. C'est vrai
que les mesures administratives étaient draconiennes et très strictes mais cela
ne concernait pas uniquement les entreprises étrangères. Ce qui est
intéressant, cependant, c'est que le Japon n'utilisait pas du tout de dollars à
l'époque. Si vous vouliez importer un produit du Japon - là, on parle des
années 50 - il fallait demander une licence. Et cette licence, il fallait
l'obtenir via le MITI, le Ministère du
Commerce et de l'Industrie. Sans cette licence, que vous soyez une entreprise
japonaise ou non, vous ne pouviez rien importer. Ces licences existaient en
trois catégories : les produits de nécessité absolue, les produits non
indispensables et les produits de luxe. Je peux vous garantir qu'importer des
produits de luxe était quasi impossible, car le gouvernement ne voulait pas
dépenser de l'argent pour ce type de produits. Maintenant, ce qu'il s'est
passé, c'est que la Guerre de Corée a été très bénéfique pour l'économie
japonaise. Le Japon a pu bénéficier du soutien militaire américain. Et comme
les militaires étaient situés très près du Japon, géographiquement parlant,
tous les achats passaient par le Japon. Ce fut une vraie bouffée d'oxygène pour
l'économie japonaise.
Et à quel moment vous
êtes-vous intéressés aux machines de divertissement ?
Cela
devait être aux alentours de 1956 ou 1957. Je me suis rendu compte, pour la
première fois, que les Japonais avaient des revenus plus souples. Pour la
première fois, depuis bien longtemps, il y avait un temps pour les loisirs. Ce
que je veux dire par là, c'est qu'au milieu des années 50, genre 54,55, la
plupart des entreprises japonaises fonctionnaient à plein régime et les
employés travaillaient au moins six jours par semaine, voire six jours et demi
dans les petites entreprises. Cela ne laissait vraiment pas beaucoup de temps
pour les loisirs. Si vous étiez chanceux, vous pouviez espérer passer au moins
une bonne nuit afin de profiter d'un sommeil réparateur.
Et
puis, en 55,56 et 57, il y a eu une sorte de déclic, les gens avaient un peu
plus de temps, des revenus plus confortables et je me suis dit que c'était le
bon moment pour tenter ma chance dans le secteur du divertissement. L'idée des
machines d'arcade est venue par élimination. Au Japon, ce qui cartonnait,
c'était le pachinko. Les gens aimaient aussi danser et se rendre dans les bars
et les cabarets. Mais aucune de ces activités ne les impliquaient réellement.
C'est là que j'ai pensé : "bon sang, mais bien sûr, les machines d'arcade
!"
En clair, des jeux
électro-mécaniques ?
Ce
n'était que des jeux électromécaniques à l'époque. Même les flippers
électriques étaient activés mécaniquement. Tout était électromécanique. J'ai
donc fait une étude rapide et je me suis rendu compte que tous les fabricants, sans
exception, étaient basés à Chicago. Ils avaient chacun des distributeurs et
sortaient environ 4 à 6 jeux par an, ainsi que des flippers. C'était vraiment
une industrie moribonde aux États-Unis, dans le sens où le marché stagnait et
n'évoluait pas. Je suis retourné aux États-Unis pour jauger les jeux qui
étaient les plus à même de conquérir le cœur des Japonais et je suis allé voir
le MITI (Ministère du Commerce et de l'Industrie) pour obtenir la fameuse
licence. (vous savez, pour importer les jeux d'arcade au Japon).
Vous pouviez donc importer des produits de
luxe ?
J'ai
eu un produit de luxe et il m'a fallu plus d'un an d'efforts et de discussions
pour les convaincre que c'était quelque chose de bénéfique pour le Japon et les
loisirs de la population. J'ai réussi à obtenir une autorisation à hauteur de
100 000 $ ce qui signifiait que je pouvais acheter et importer de la marchandise
d'une valeur de 100 000 $. Donc, je suis retourné aux États-Unis avec l'idée
d'acheter des machines d'arcade. Les Japonais avaient un vrai affect pour la
chasse et le tir, donc j'ai embarqué pour près de 100 000 $. Chaque jeu m'a
coûté en moyenne dans les 200 $. Seulement voilà, les taxes au Japon, étaient
de l'ordre de 200% ! Comme en plus, le CIF (Cost, Insurance and Freight,
autrement dit le coût, l'assurance et le fret) entrait en compte, de nouvelles
taxes d'expédition des marchandises venaient se greffer aux autres. Dès le
début, les machines d'arcade ont connu un énorme succès. Et pour jouer à
l'époque, il fallait débourser environ 20 yens (le taux de change était
d'environ 360 yens pour 1 $). Mon activité s'est développée et m'a fait
connaître aux États-Unis. La plupart des distributeurs me contactaient car ils
possédaient du matériel d'occasion qui n'avait aucun avenir et leurs entrepôts
étaient pleins.
Et
quels jeux étaient les plus populaires auprès des Japonais ?
Les
jeux qui avaient la plus grosse demande et qui étaient très bons sont
assurément les jeux de tir avec des pistolets à air comprimé.
Ceux de Allied
Leisure ?
Non,
c'était avant que Allied Leisure existe. Je pense qu'il s'agissait de ceux de
Seeberg. Par la suite, j'ai ouvert diverses salles d'arcade à travers tout le
Japon. Je me souviens, nous enlevions le caisson de la machine, tout en
conservant les mécanismes et on concevait un environnement de jungle, avec des
arbres et ce genre de choses. Nous pouvions prendre une borne, nous cachions
les mécanismes et tout ce que vous pouviez voir, c'était l'ours qui court à
travers la jungle ou le raton-laveur qui monte et descend les arbres.
Et là, l'entreprise
a décollé ?
Nous
avons été chanceux. Grâce à l'expérience acquise avec les cabines Photorama,
nous avons entretenu d'excellentes relations avec différents studios de cinéma,
notamment la Toho ou encore la Shurusheko, de sorte qu'ils nous ont ouvert des
espaces de location. Et notamment la Toho, qui nous a proposé un espace dans
chacune de leurs salles de cinéma. Je ne me souviens plus du nombre de bornes
que nous avons entreposé mais lorsque j'ai quitté le Japon, il n'y avait pas
une ville dans tout le pays qui n'avait pas l'un de nos jeux. A cette époque,
il nous restait environ un an et demi à deux ans avant que d'autres entreprises
comprennent notre fonctionnement et se mettent à en faire de même. Et bien
évidemment, des sociétés ont commencé à importer des jeux et sont devenues des
concurrentes. Les deux sociétés les plus impliquées étaient Taito (dirigée par
un homme appelé Mike Kogan) et une autre entreprise appelée Service Games - le
nom japonais était Nihon Goraku Bussan.
Mike Kogan, le
Russe ?
Oui
le Russe. Il est décédé depuis... (durant un voyage d'affaires en 1984), un
très bon ami. Et l'autre société était dirigée par des Américains. La taille de
la division jukebox de Taito était à peu près équivalente à celle de leur
future département de machines d'arcade. Nihon Goraku Bussan, quant à elle,
avait un très, très gros catalogue de jukebox, sans doute plus important que
celui de Taito. Et en plus, ils avaient une usine. Ils ont fabriqué des
machines à sous qu'ils revendaient à l'armée, pour les militaires. C'était
vraiment une entreprise très importante. En tout cas, Taito et Nihon Goraku
Bussan travaillaient essentiellement dans le secteur des jukebox et elles sont
entrées progressivement dans le secteur des machines d'arcade, en fournissant
de petites localités.
Une question
rapide. Désolé de vous interrompre. Vous deviez payer environ 1000 $ pour
récupérer une machine d'arcade aux États-Unis et la faire livrer au Japon ?
Probablement
dans les 600 ou 700 $.
Et vous pensiez
obtenir combien de recettes avec une seule machine ?
Et
bien, c'est gênant de le dire mais les bénéfices apparaissaient en moins de
deux mois. C'est un peu comme un siège de cinéma ou d'avion, cela dépend de
l'occupation que vous en faites et du temps qu'il est utilisé. Vous pouviez par
exemple mettre 1 $ dans une machine, mais si elle n'est utilisée que dix fois
par jour, vous n'obtenez que 10 $. Tout ce qui fait la vente est le temps que
l'utilisateur passe sur la machine. Et les nôtres étaient constamment utilisées.
Ce que je veux dire, c'est qu'elles l'étaient du matin au soir. Autant dire que
le rendement était excellent.
Quand et comment
êtes-vous devenu SEGA ?
Au
début des années 60. Comme je l'ai mentionné plus haut, les deux entreprises,
Taito et Nihon Goraku Bussan, étaient de bons amis. Certes, elles étaient
concurrentes, mais nous n'avions aucune animosité et nous nous entendions bien.
En 1964, peu de temps avant d'entrer dans l'année 1965, je suis entré en
pourparlers avec Nihon Goraku Bussan dans l'optique d'une fusion. Elle était de
loin la plus grand entreprise en matière de jukebox. Ils avaient également la
propriété de leurs propres biens ainsi qu'une usine. SEGA était leur nom de
marque.
Donc, Nihon Goraku
Bussan est bien l'entreprise SEGA originale ?
Nihon
Goraku Bussan était SEGA dans le sens où il s'agissait de leur nom de marque. A
ce moment-là, nous avons décidé de fusionner. Et en cherchant un nom pour
l'entreprise, on a tout simplement décidé de conserver SEGA, qui était une marque
connue puisqu'il s'agissait de leur nom de marque. On a récupéré le mot
"Enterprises" de Rosen Enterprises, Ltd., car Rosen n'était pas un
nom de marque, juste une entreprise. Et c'est là qu'est née SEGA Enterprises,
Ltd. Et la société est devenue encore plus importante évidemment. Je suis
devenu PDG après la fusion. Je suppose que, dans un sens, cela peut
s'apparenter à la seconde phase de la vie de SEGA. La première phase est selon
moi celle avec les deux sociétés (Nihon Goraku Bussan et l'usine de production,
Nihon Kikai Seizo) et leurs racines (américano-japonaises).
A quel moment
avez-vous commencé à produire vos propres jeux ?
En
1960, peut être 1961, nous importions de nouveaux jeux. Nous avons remarqué
qu'il n'y avait pas beaucoup de nouveautés dans ce que nous proposions. Tout au
plus, les changements étaient d'ordre visuel. Le but du jeu avait beau changer,
tout comme le caisson, les jeux restaient tous les mêmes. Le secteur des
machines d'arcade allait de mal en pis aux États-Unis et notre survie passait
par le développement de nouveaux équipements. Nihon Goraku Bussan avait l'usine.
Ils avaient les ingénieurs. De mon côté, j'avais aussi des ingénieurs et
quelques idées de jeux. Nous avons décidé que c'était le bon moment pour passer
à l'action. Tout est parti de Chicago. En 1966, nous avons conçu notre premier
jeu que nous avons appelé Periscope. Si vous parlez aux vieux de la veille de
cette industrie, tous vous diront que cette borne a été un tournant historique
dans le secteur du divertissement. C'était un jeu très simple., vous deviez
tirer sur les navires (qui avançaient via un système de chaîne), à travers un
périscope.
Un peu comme le tir
aux canards dans les fêtes foraines ?
Quelque
chose qui s'y apparente oui. Nous avions un océan simulé par du plastique, et
on avait des lumières qui traversaient l'océan et le joueur devait lancer la
torpille afin d'atteindre les navires. Cela paraît très simple aujourd'hui et
ressemble à ce qu'on pourrait trouver chez Toys'R US. Mais à l'époque, c'était
quelque chose de révolutionnaire. Bien sûr, il y avait de bons effets sonores
lorsque la torpille touchait le navire et la borne comptabilisait vos points
(soit le nombre de navires coulés). Vous aviez cinq tirs par partie. Nous avons
conçu cette borne pour le Japon et ce fut un énorme succès. Le succès fut tel
que, d'une certaine manière, les distributeurs européens et américains ont
voyagé jusqu'au Japon pour découvrir la borne. Nous n'avions pas pensé à
l'exportation en construisant cette borne. C'était un peu comme un jeu de
construction, que nous avons modifié. Finalement, nous avons commencé à
exporter la borne mais le prix était environ deux fois plus cher que n'importe
quelle machine d'arcade aux États-Unis. De 695 ou 795 $, on passait à 1 295 $ !
Les distributeurs se sont plaints 'Nous savons que c'est une super borne mais on
ne peut pas payer 1 295 $ !'. Du coup, on leur a répondu de la façon suivante :
"Vous savez, c'est très simple, vous mettez la partie à 0, 25 $ et on vous
garantit que vous rentrerez dans vos frais". C'est le prix qui a été
indiqué aux États-Unis. Et c'est ce qui a lancé SEGA dans le commerce
d'exportation.
Plusieurs
dirigeants de société de jeux japonais ont eu des problèmes avec les Yakuza. Ce
fut aussi votre cas ?
C'était
plus un problème pour eux que pour nous. En fait, nous n'avons jamais eu de
problèmes avec eux.
Vraiment ?
Pensez-vous qu'il vous laissait en paix parce que vous étiez américain ?
Euh,
certainement. Je me souviens de quelques évènements, dont l'un dont nous ne
savons pas tout. Nous avions ouvert un stand Photorama dans une zone appelé
Irakusho, qui était très importante pour l'industrie du divertissement, comme
Ginza est au shopping. Ce que nous ne savions pas, c'est que l'on devait rendre
hommage aux locaux, euh, dirons-nous...
Shogun ?
Appelez-les
comme vous voulez. J'hésite à citer un nom mais on leur devait du respect et
leur expliquer notre business. Seulement, nous ne l'avons pas fait...
simplement, par ignorance de la chose. Dans ce cas particulier, nous n'avions
pas réalisé que ce clan était très à cheval sur ces valeurs. Résultat, ils nous
ont envoyé des émissaires pour leur faire part de leur mécontentement. Nous
avons donc fait nos excuses et nous avons expliqué que nous étions une société
étrangère et que nous ne savions pas. Mais pour répondre à votre question, non.
Je veux dire par là que nous n'avons eu aucun problème. Et je pense que c'est
probablement parce que nous étions des étrangers. Après Periscope, en sachant
que nous avions le talent pour concevoir des jeux de qualité, nous sommes
devenus très prolifiques. Je ne sais plus exactement combien de jeux nous sortions
à l'année, mais c'était de l'ordre de 8 à 10 par an. Et chacun de ces produits
étaient ensuite exportés. Et pour la première fois, les distributeurs de
Chicago ont compris que nous étions à même de concevoir de beaux jeux et qu'il
résidait une industrie capable de toucher les joueurs américains.
Mais vous avez
pourtant stoppé l'exportation des jeux plus tard ?
Le
jeu qui a fait déborder l'eau du vase, c'est un truc que nous avions construit
je crois... C'était vers la fin des années 60, peut-être 1969, un jeu appelé
Jet Rocket. Dans cette borne, nous avons introduit un grand nombre de nouveaux
éléments : différents types de sons, de multiples effets spéciaux, etc. Nous
avons conçu des prototypes afin de les présenter à certaines personnes (les
bornes devaient être testées avant d'être commercialisées) et c'est évident que
la borne allait être plus chère que d'habitude. A notre insu, alors même que
nous avions eu quelques signaux d'un de nos fabricants, les trois manufactures
principales de Chicago ont laissé tomber le jeu. Dès lors, à cause de cet
évènement, nous avons estimé que nous n'avions plus besoin du marché
d'exportation. Nous avons alors cessé l'exportation pendant quelques années.
SEGA a ensuite été
acheté par Gulf & Western. Comment cela s'est produit ?
Nous
avons estimé qu'il était temps pour nous de passer dans le domaine public au
Japon. Bien que j'ai passé beaucoup de temps à négocier avec une société de
sécurité, il y avait de nombreux paramètres qui rentraient en compte. Tout
d'abord, nous aurions été la première entreprise étrange à passer dans le
domaine public après la Seconde Guerre Mondiale. Ensuite, ça serait la première
fois qu'une entreprise du secteur du divertissement passe dans le domaine
public. Il y avait trop d'obstacles. Nous avons alors décidé que nous devions
faire quelque chose pour sortir l'entreprise du Japon et nous avons sondé les
entreprises américaines que nous pouvions acheter, les entreprises publiques -
ou privées que nous pourrions rendre publiques - et peut être fusionner avec
ces différentes firmes. Dans le même temps, nous avons assuré nos arrières en
souscrivant auprès d'une société de sécurité jouant le rôle de fond
d'investissement. Ils ont alors fait une étude et ils sont revenus vers nous en
disant qu'il était préférable de nous faire acheter : "Vous savez, plutôt
que d'acheter une entreprise, faites-vous racheter car il y a plusieurs grandes
entreprises américaines qui seront intéressées par SEGA". Dès lors, nous
avons changé de position et nous avons exploré cette piste.
J'ai
donc un de mes partenaires qui a passé du temps pour rencontrer diverses
entreprises intéressées par nous. L'une d'entre elles se nommait Gulf &
Western Industries. Je ne sais pas si vous êtes familier avec les histoires de
conglomérat de la fin des années 60, mais c'étaient les grandes années des
conglomérats. Gulf & Western était l'un des pionniers en matière de
conglomérat. Ils nous ont montré un vrai intérêt et nous avons signé un accord
en 1969. Nous avons alors vendu SEGA Enterprises, Ltd à Gulf & Western.
SEGA Enterprises, Ltd est devenue une filiale et une propriété de Gulf &
Western. (David Rosen restait PDG de SEGA Enterprises).
Et quand avez-vous
rompu ce conglomérat ?
A
un moment, des choses ont évolué dans le management de Gulf & Western.
Charlie Bludon, le PDG, est décédé. En 1983, ils m'ont demandé si j'étais intéressé
pour racheter SEGA ou réunir un groupe d'acheteurs afin de le faire. C'est ce
que j'ai fait. Avec Mr. Nakayama et Mr. Okawa, nous avons racheté SEGA à Gulf
& Western en 1984. Ce qui peut s'apparenter à la phase 4 de la firme.
A quel moment SEGA
s'est-elle lancée dans le jeu vidéo ?
SEGA
a été impliqué dans les jeux vidéo, mais je ne peux pas vous donner l'année.
Mais c'était certainement très peu de temps après que ce média ait vu le jour.
Donc, époque de
Pong ? Début des années 70 ?
Certes, nous importions ce type de jeux dès le
premier jour. Ensuite, nous avons débuté la production d'autres versions de ce
jeu.
A quel moment SEGA
s'est intéressée aux consoles de salon et pourquoi la société a eu des
difficultés au Japon ?
Malheureusement,
la Master System a été lancée, peut être un an et demi ou deux ans, après celle
de Nintendo et il y avait une véritable culture Nintendo au Japon. C'étai très
difficile de lancer une technologie similaire au même moment.
Mais vous avez
pourtant lancé la console en même temps que celle de Nintendo aux États-Unis?
Non.
C'était en Europe. Je pense que nous avons lancé les deux machines pratiquement
à la même époque sur le sol européen, car Nintendo a convaincu le marché
japonais, puis ils sont allés aux États-Unis et enfin en Europe. Avec la
technologie 16 bits, nous étions les premiers sur le marché et c'est ce qui
nous a grandement aidé à reconquérir ce marché.
La Master Sytem
était pourtant supérieure à la NES techniquement ?
Très
sincèrement, en toute équité, il n'y avait pas de différence fondamentale entre
les deux machines.
Et quel est votre
rôle chez SEGA désormais ?
Je
suppose que mon rôle est proportionnel à mes cheveux gris. Plus j'en ai, moins
je suis actif. Principalement, je suis évidemment, enfin je ne devrais pas dire
évidemment, j'ai toujours un siège au Conseil d'Administration et j'agis en
tant que consultant et conseiller au Japon. Et quand l'occasion se présente, je
tente de résoudre ce qui ne va pas. Et bien entendu, je détiens un nombre
important d'actifs chez SEGA. En ce qui concerne Nakayama, c'est un très bon
ami que j'ai intégré à l'entreprise à la fin des années 70. Il avait une
société qui s'appelait Esco Trading, qui était principalement spécialisée dans
la distribution. C'était un distributeur. Il était assez connu aux États-Unis
en raison de son "agressivité" sur le plan commercial et son assez
bonne connaissance de l'anglais. J'ai acquis son entreprise pour obtenir son
management. C'était probablement en 78, 79.
La Saturn n'a pas
marché aussi bien que les gens l'avait espéré.
En
fait, la Saturn a très bien marché au Japon. C'est même remarquable compte tenu
des forces contre qui elle a dû lutter. Il ne fait aucun doute que Sony était
un concurrent très sérieux. Et il va sans dire que les tiers (studios de
développement) ont sauté dans le wagon Sony. En dépit de cela, SEGA a tout même
tenu la marée au Japon. Si mes chiffres sont bons, le marché était d'environ
50/50 au Japon. C'est, je pense, un exploit. On en dit finalement peu sur la
Saturn. Aux États-Unis, Sony a lancé sa machine en 95 et la plupart de leurs
rapports financiers ont dépassé SEGA, mais il faut bien comprendre qu'il y a eu
plusieurs facteurs aggravants. Tout d'abord, le prix inférieur a joué contre
nous et il va sans dire que le marché est sensible au prix. C'était donc un
très point pour eux. Ensuite, ils ont eu la chance d'avoir un très grand nombre
de jeux quand ils ont lancé leur console.
David
Rosen quitte SEGA le 15 juillet 1996, par soutien de Tom Kalinske qui déposa sa
démission la veille. Je n'ai pas la date exacte de l'interview mais il
semblerait que ce soit dans le courant de l'année 1996, ce qui paraîtrait
logique. Il est aujourd'hui âgé de 84 ans et vit à Los Angeles.
A bientôt pour la suite de l'Histoire de SEGA !
Interview qui nous apprend pas mal de détail.
RépondreSupprimer