Une fois n'est pas coutume, ce n'est pas un making of que je vous propose aujourd'hui, mais plutôt une interview. Avant l'avènement des consoles à support CD, il a fallu composer avec des musiques faites de "bip" et de "boup". Ces sonorités dites " MIDI", kitsch à souhait, ont pourtant donné vie à des thèmes cultes. Impossible de ne pas citer des musiciens comme Nobuo Uematsu, Yuzo Koshiro ou encore Koji Kondo... la musique de jeu vidéo a évolué avec son temps, mais beaucoup de compositeurs de productions vidéoludiques sont devenus célèbres sur des supports 8 et 16 bits. Alberto Jose González est peut être moins connu que les grands noms cités plus haut, mais ses thèmes, inspirés et génialement rythmés, vous diront forcément quelque chose ! On lui doit ainsi pas mal de musiques de jeux Infogrames (North & South, Astérix, Astérix & Obélix, Les Schtroumpfs, Tintin au Tibet, Tintin et le Temple du Soleil...) ou de titres sympathiques comme les Turok sur Game Boy et Game Boy Color. Après avoir lu l'interview, vous pourrez vous délecter de ses créations à cette adresse : https://soundcloud.com/joemcalby A noter qu'il également artiste/game designer sur certains jeux.
Bonjour Alberto, pouvez-vous nous raconter comment tout a commencé pour vous ? Votre carrière est étonnante ! Etant plus jeune, c'est ce à quoi vous aspiriez ?
Cela a débuté simplement en fait. J'ai remarqué le nom d'une société de développement sur une enveloppe et je me suis souvenu d'un de leurs jeux auquel je jouais sur mon ordinateur : c'était la firme New Frontier. Avec mon ZX Spectrum +2, je m'étais déjà essayé à l'élaboration de graphismes et d'animations. C'est pourquoi j'ai frappé à leur porte et je leur ai demandé s'ils avaient besoin d'un graphiste. J'ai montré mes travaux, qu'ils ont apprécié, et j'ai commencé à travailler dès le jour suivant.
Quand j'étais enfant, j'adorais jouer à mes Game & Watch (jeux électroniques cultes de Nintendo). Plus tard, lorsque j'ai obtenu mon premier ordinateur, j'ai appris le langage informatique BASIC et je me suis amusé à créer un maximum de dessins, mais je ne pensais pas qu'on pouvait en faire son métier. A la maison, c'était juste un hobby. D'ailleurs, à cette époque, créer des jeux vidéo n'était pas très bien vu.
Quel est votre instrument favori pour travailler ? Guitare, piano, synthés ?
Ce sont les claviers, car il s'agit du seul instrument que je maîtrise.
Ce qui étonnant avec vous, c'est que vous êtes non seulement musicien mais aussi artiste designer, producteur et même game designer. Où avez-vous appris tous ces métiers ? N'est ce pas trop difficile de gérer l'ensemble de ces jobs ?
J'ai tout appris sur le tas comme n'importe quel autre développeur de mon époque, juste en essayant de faire du mieux que je pouvais. Depuis que j'ai mon premier ordinateur, je souhaite créer mes propres jeux. Mais auparavant, je n'avais pas d'amis aussi passionnés et dans le même état d'esprit que moi. Si bien que j'ai dû tout apprendre quand j'ai commencé à réaliser des jeux en tant que professionnel. Mais dans les petites sociétés, il est assez naturel pour les employés d'aller au-delà de leur simple profession. Bien sûr, il est difficile de rester compétitif lorsqu'on passe sans arrêt d'un métier à un autre, surtout lorsque les choses se compliquent au fil du temps. Je ne prétends aucunement être bon dans tout ce que je fais.
Pouvez-nous nous parler de New Frontier et Bit Managers ? Comment en êtes-vous amené à travailler pour Infogrames ?
A l'époque, quand j'ai commencé à travailler pour New Frontier, la société n'avait que deux ou trois jeux dans leur catalogue. Parmi les autres productions pour lesquelles j'ai participé, je retiens des jeux utilisant un périphérique appelé "Gun Stick", une sorte de pistolet à lumière. Malheureusement, aucun de ces titres n'a vu le jour car les ventes du Gun Stick n'étaient pas suffisantes, mais je pense que les jeux étaient très bons ! Nous avons aussi fait pas mal de portages du ZX Spectrum au MSX; certaines de mes toutes premières compositions étaient des adaptations de chansons originales.
Infogrames était en train de chercher un studio externe afin de porter les jeux d'ordinateur sur consoles 8 bits, et nous avons été sélectionnés pour produire un prototype de leur jeu Operation Jupiter (Hostages) de l'Amiga 500 au ZX Spectrum. Ils ont apprécié la démo et nous avons commencé à travailler pour eux, d'abord avec ce titre, et ensuite avec d'autres comme "North & South", "Light Corridor" ou encore "Mystical". Et puis avec le déclin des ordinateurs 8 bits, nous avons petit à petit bifurquer sur les consoles de salon.
En dépit de tout le travail que nous fournissions, nous n'étions pas payés régulièrement à cause des personnes qui dirigeaient New Frontier (elles nous mentaient et trichaient sur la situation de la société). A un moment, nous avons pris nos baluchons et nous sommes partis créer Bit Managers avec le peu d'argent que nous avions réussi à mettre de côté. Comme Infogrames savait de quoi nous étions capables, nous n'avons eu aucun mal à continuer nos projets avec eux. Ce fut une relation étroite et fructueuse qui a duré pendant plus de douze ans.
Vous avez travaillé sur un nombre important de systèmes 8 bits : Game Boy, NES, Master System, Game Gear... Comment êtes-vous parvenus à tirer le meilleur de ces consoles ? Est-ce que le chip sonore est si différent entre Nintendo et SEGA ?
J'ai grandi en écoutant la musique des autres compositeurs de systèmes 8 bits (qui ont réussi à surpasser les capacités de machines limitées) et j'ai essayé d'en faire de même. J'ai adoré travailler avec les chips sonores de la NES et de la Game Boy. En comparaison, les puces de la Master System et Game Gear paraissaient plus limitées, mais il faut reconnaître que j'ai eu très peu de temps pour porter mes compositions sur ces supports. Du coup, je n'ai pas exploité le plein potentiel de ces consoles.
Que pouvez-nous nous dire à propos d'Astérix, des Schtroumpfs... ? Dans une interview, Stéphane Baudet m'a expliqué qu'Astérix (même si les cartouches Game Boy/NES manquaient de mémoire) était une expérience géniale. Il m'a aussi parlé d'une boutique de vêtements au sud de Barcelone (qui a servi de bureau de développement). Très étonnant, mais le jeu est vraiment super !
J'ai d'excellents souvenirs du développement (NLDR : versions 8 bits) d'Astérix et des Schtroumpfs. C'était passionnant de travailler avec Stéphane. C'est l'une des personnes les plus motivantes avec qui j'ai eu l'occasion de travailler. C'était un vrai plaisir de travailler avec lui.
Oh, la boutiques de vêtements ! Durant la transition qui nous a amené de New Frontier à notre nouvelle société Bit Managers, nous n'avions pas assez d'argent pour louer des bureaux, si bien que nous avons travaillé dans l'arrière-boutique d'un magasin de ... maillots de bain ! C'était à Cubelles et ça a duré un certain temps. La boutique était très proche de la plage et je me souviens qu'il faisait très chaud l'été et très froid l'hiver. Nous n'avions pas de clim et c'était très dur de travailler certains mois.
Au final, quelle est votre console favorite, en tant que musicien? Mega Drive, Super Nintendo, Game Boy... ?
En tant que musicien et pour toutes les possibilités qu'elle offre (et les canaux disponibles), c'est clairement la Super Nintendo qui est la plus agréable. Cependant, j'aime beaucoup le son FM de la Mega Drive. Avec cette machine, il y a quelque chose de sépcial dans la manière de synthétiser les sons et de les faire évoluer sans restrictions de taille.
Votre travail sur Game Boy est absolument fantastique. Les musiques d'Astérix, des Schtroumpfs, de Spirou... sont excellentes ! Est-ce une touche espagnole que vous apportez ? Les mélodies sont vraiment rythmées et uniques !
Merci pour les compliments ! Je ne saurais dire s'il y a une touche espagnole, mais les inspirations sont avant tout européennes. Les techniques que j'utilise dans ma musique sont plus ou moins les mêmes que les compositeurs européens de jeux sur ordinateurs 8 bits. Pour les mélodies, et bien je suppose que c'est mon propre style ! J'essaye de créer des airs entraînants tout en proposant une rythmique solide. Je varie aussi les styles afin de ne pas ennuyer le joueur.
Un mot sur la Super Nintendo ? Vous avez aussi travaillé sur PlayStation ? Dans ces conditions, peux t-on dire que l'apport de plus de puissance aide l'inspiration ?
Oui, j'ai composé la musique d'Astérix & Obélix sur Super Nintendo, sous la direction de Stéphane Baudet. C'était un grand moment ! Cette machine est impressionnante et j'ai aussi énormément apprécié le jeu qui m'a beaucoup aidé pour l'inspiration. J'aurais souhaité composer une autre bande sonore sur cette console, car j'ai à peine commencer à effleurer le vrai potentiel de la puce sonore. La Super Nintendo est un bel exemple de l'équilibre entre les limites techniques et la liberté qu'elle offre aux musiciens. Je dirais que plus de puissance se traduit par une marge de manœuvre plus large et des possibilités plus évoluées, mais pas forcément de l'inspiration. Dans la plupart des cas, l'accès à de multiples canaux et à plus d'options permet de se concentrer sur la musique (et donc de créer de belles mélodies), au lieu de se focaliser sur d'autres éléments.
Quelles sont vos principales influences ? Avez-vous des modèles ? J'ai pu lire que la musique d'Astérix a été inspirée par un certain Solstice, c'est vrai ?
En fait, l'inspiration de Solstice vient avant tout du pilote de son, pas de la musique en elle-même. Quand j'ai eu à réaliser ma première composition pour la NES, j'ai écouté la musique de nombreux autres jeux de ce support afin de trouver une piste de travail. Solstice faisait partie des jeux qui m'ont servi. J'adorais le rendu sonore de la batterie et c'est à partir de là que j'ai créé mes propres routines rythmiques.
Mes principales influences viennent avant tout de compositeurs européens de l'ère des ordinateurs 8 bits : Tim & Geoff Follin, David Whittaker, Ben Daglish, Jonathan Dunn, Matthew Cannon... et plus tard, je me suis inspiré de compositeurs de l'ère 16 bits (ordinateurs et consoles) comme Chris Huelsbeck, Yuzo Koshiro, Nobuo Uematsu et la liste est loin d'être exhaustive.
J'ai toujours été un grand amateur des musiques de jeux vidéo et je suppose que ces écoutes ont influencé mon propre travail d'une façon ou d'une autre.
Aujourd'hui, quels logiciels, outils et instruments utilisez-vous ? Et dans les années 90 ?
A chaque fois que j'ai besoin de quelque chose en relation avec le son, j'utilise principalement Cubase pour le séquençage, relié à différents plugins et bibliothèques, et Wavelab pour l'édition sonore. J'utilise aussi un Nord Modular G2 et quelques autres synthétiseurs, analogiques ou digitaux. Actuellement, je pense que j'ai plus de matériel que je n'en ai jamais eu. Probablement pour combler le peu de moyens dont je disposais auparavant.
Dans les années 90, mes instruments étaient quasi inexistants. Toutes mes mélodies 8 bits ont été composées sur ZX Spectrum +2 avec un séquenceur que j'ai programmé spécialement. C'était mon instrument principal. Bien entendu, le son ne ressemblait pas à celui des consoles mais il me permettait de composer la mélodie de base et le reste était ensuite entièrement programmé via le chip sonore de la console. J'ai aussi eu un Casio SA-1 que j'utilisais pour trouver rapidement des mélodies et des idées.
Justement, est-ce difficile de créer de la musique avec un son de qualité pour ensuite l'entendre avec le chip sonore des consoles ? En général, le résultat est très différent.
Dans mon cas, il n'y a jamais eu de musique dite "réelle", dans le sens où elle est jouée par de vrais instruments. Tout a été composé et programmé entièrement pour les consoles, en prenant leur son en considération. En fait, de nombreuses fois, j'ai réussi à créer des sons inattendus (via le chip sonore des machines) qui m'ont inspiré pour de nouvelles mélodies. C'est toujours étrange d'expliquer mon travail aux gens, de leur dire que je compose de la musique de jeux vidéo. Ils me posent toujours la question des instruments que je joue.
Pour des niveaux comme l'Egypte (Asterix) ou Katmandou (Tintin au Tibet), quelles ont été vos inspirations ? En tant que breton, une musique comme Londinium dans Astérix & Obélix m'a vraiment impressionné par ses sonorités celtiques.
Pour l'Égypte et Katmandou, je n'ai pas fait beaucoup de recherches, elles m'ont juste paru convenables. Peut être que j'ai eu une inspiration venu d'un précédent jeu auquel j'ai joué. Pour Londinium, l'inspiration m'est venue en regardant ce superbe environnement, avec la nuit, le brouillard et tout le reste. Je l'ai trouvé sublime ce niveau.
Durant votre carrière, vous avez travaillé pour un grand nombre de jeu à licences (Astérix, Spirou, Les Schtroumpfs, Lucky Luke...). Avez-vous ressenti une certaine pression ?
Pas du tout ! En fait, la plupart du temps, j'ai eu l'impression que personne ne s'intéressait à ce que je composais. Je ne me souviens pas avoir eu beaucoup de commentaires par rapport à mes bandes sonores, ou peut être juste de temps en temps. Je ne pense pas que le son de la Game Boy était pris très au sérieux, la plupart des commentaires que j'ai lu ne traitaient pas de cette console.
Selon vous, quel est le meilleur support pour composer ? Plutôt le CD ou la cartouche ? Quel est votre préféré ?
Je suppose que vous voulez parler de la musique MIDI pour les cartouches et de la musique streamée sur CD ? Bien entendu, c'est la musique sur CD qui est plus confortable car il n'y a pas de restrictions. Par contre, la musique MIDI demande beaucoup de travail avec l'échantillonnage des instruments et il faut gérer le faible nombre de canaux disponibles et la quantité limitée de mémoire. Mais on peut modifier le tempo et les sons en temps réel, tout en accédant à de nombreuses choses intéressantes avec la musique MIDI. Je n'ai pas vraiment de support préféré, il faut choisir ce qui convient le mieux pour chaque jeu.
Pourquoi avez-vous modifié certains thèmes de la Game Boy à la NES ? Par exemple, certaines mélodies d'Astérix sont exclusives à chaque support.
Quand j'étais en train d'adapter mes compositions de la Game Boy à la NES, je trouvais que de nombreuses mélodies ne s'adaptaient pas bien à la puce sonore de la NES. Si bien qu'avec le temps restant j'ai essayé de composer un maximum de musiques inédites. Pour moi, le son final est aussi important que la composition en elle-même.
De quelles compositions êtes-vous le plus fier ?
Je suis fier de beaucoup d'entre elles, pour différentes raisons. En revanche, si j'avais à en choisir deux, ça serait Astérix et les Schtroumpfs, pas seulement pour la musique mais aussi pour les graphismes et toute l'expérience gravitant autour de la création de ces jeux.
Que pouvons-nous vous souhaiter dans le futur ? Etes-vous toujours compositeur ? Avez-vous eu l'opportunité de travailler sur des machines comme la Dreamcast, PS2, Gamecube, Xbox, 360, PS3, etc. ?
Malheureusement, je n'ai jamais eu la chance de travailler avec ces consoles. Quand j'ai quitté Bit Managers pour fonder Abylight, j'ai avant tout composé de la musique pour des plateformes mobiles et puis j'ai fini par faire autre chose. La seule musique que j'ai composé au cours de ces dernières années a été une petite mélodie pour le jeu Cosmo Fighters ainsi que certaines séquences pour nos titres "Music On : Electronic Keyboard" et "Retro Keyboard". Généralement, mon travail sonore se résume à celui d'un programmeur, d'un dirigeant ou d'un designer de bruitages. Je serais vraiment heureux de composer de nouvelles musiques. Qui sait ? Peut être à l'avenir !
Avez-vous un message pour les fans de vos musiques ?
Ce que je peux leur dire, c'est merci pour leur soutien ! L'idée d'avoir des fans avec les mêmes sentiments que j'ai pour d'autres compositeurs est vraiment géniale, c'est quelque chose que j'apprécie énormément.
Merci pour toute votre carrière et votre fantastique musique !
Merci à vous pour l'interview !
Découvrez les nombreuses compositions de Alberto Jose González à cette adresse : https://soundcloud.com/joemcalby
Découvrez les nombreuses compositions de Alberto Jose González à cette adresse : https://soundcloud.com/joemcalby