Le japonais est une langue que j’ai toujours voulu apprendre. J’ai bien essayé de m’y mettre mais le boulot et la vie de famille font qu’il est difficile de s’y plonger totalement. Et forcément, quand on est passionné par l’Histoire du jeu vidéo, c’est rageant car beaucoup de créateurs nippons ne parlent pas un mot d’anglais. Ce n’est pas le cas de Makoto Uchida. Créateur d’Altered Beast, de Golden Axe ou encore de la série Dynamite Deka, ce dernier est désormais à la tête de la R&D de SEGA Shanghai. Il y a quelques semaines, je l’ai contacté (via Facebook, ce qui a été un calvaire car la Chine dispose de pas mal de restrictions en matière de réseaux sociaux) et il m’a autorisé à lui envoyer toute une série de questions portant sur ses jeux et sa carrière. Voici les réponses d’un homme qui, pour beaucoup, a été à l’origine de nombreux souvenirs d’enfance et d’adolescence.
Qu’est-ce qui vous a amené à travailler dans le jeu vidéo ? Est-une carrière, étant enfant, à laquelle vous aspiriez ?
J’ai toujours été un très grand fan de jeux vidéo. Quand j’étais enfant, il n’y avait pas beaucoup de salles d’arcade dans mon voisinage et mon quartier, donc je prenais mon vélo et je pédalais pendant près d’une demi-heure pour rejoindre une station de ski située en haut de la montagne. À cet endroit, il y avait un hôtel qui avait quelques bornes d’arcade. Je ne pouvais pas y jouer parce que je n’avais pas d’argent, mais je prenais du plaisir à regarder les autres joueurs.
Vous souvenez-vous de vos premières expériences ? Comment ça se passait à l’époque ?
« Pac-Man » et « Heiankyo-Alien » furent mes premiers jeux. Les deux tournaient sur borne d’arcade. J’ai d’ailleurs une anecdote à ce propos : avant de jouer, je me rendais dans les toilettes et je m’assurais d’avoir quelque chose à boire avant de commencer ma partie. Une fois lancé, je pouvais jouer pendant une demi-heure sans faire une seule erreur.
Parlons maintenant de votre premier grand succès et de ce jeu devenu culte : Altered Beast. Quel est le point de départ de ce projet et d’où vient le nom ?
En fait, le projet a été approuvé sur la base d’un concept original. L’idée était d’incarner un personnage très musclé, pouvant devenir de plus en plus fort et capable de vaincre une armée de monstres. Mais à l’époque, aucune équipe n’était disponible pour programmer le jeu, si bien que j’ai dû attendre six mois pour me lancer dans cette aventure. J’ai utilisé ce laps de temps pour développer le concept. Je voulais qu’il se passe quelque chose lorsque le personnage atteint son niveau maximum. Alors que je réfléchissais à la manière dont cela pouvait se matérialiser, j’ai alors eu un déclic : pourquoi ne pas transformer le personnage en une sorte de monstre animal – un thérianthrope (NDA : la thérianthropie est le terme utilisé pour désigner la transformation d’un être humain en animal, de façon complète ou partielle) ! Cette idée m’a ensuite amenée au principe des attaques spéciales correspondant à chaque animal. Je me disais que le jeu avait besoin d’ennemis capables de résister à ces créatures, si bien que j’ai commencé à imaginer des boss énormes. Ensuite, tout a évolué à partir de là.
NDA : Si l’on en croit une interview qu’il a donné au site officiel japonais de SEGA, Makoto Uchida s’est notamment inspiré du clip Thriller de Michael Jackson pour l’une des transformations.
Avez-vous des anecdotes concernant le développement d’Altered Beast ? Était-ce difficile de travailler sur System 16 pour ensuite adapter le jeu sur Mega Drive qui était à l’époque, il faut le rappeler, un nouvel hardware ?
Dans Altered Beast, il y a un élément que nous avions instaurés mais qui n’a pas été conservé. On avait prévu d’y inclure un système permettant au joueur de cibler les points forts et les points faibles de chacun des ennemis. Cependant, le développement de cette idée n’est pas allé à son terme. Cela peut surprendre, mais on a décidé d’annuler ce concept à la toute dernière minute avant la sortie du jeu – de toute façon, les graphismes et la partie sonore étaient fin prêts. En agissant de la sorte, on a été obligés de couper la moitié des mouvements d’action (NDA : c’est comme si on supprimait la moitié des animations). Notre artiste était bouleversé par cette décision (nombreux sont les dessins à ne pas avoir servi du tout au final) mais j’étais plutôt content car je trouvais le gameplay plus simple et plus amusant.
En ce qui concerne le System 16, j’ai vraiment pris beaucoup de plaisir à travailler à sur ce support. Il était capable de gérer un grand nombre de personnages simultanément, à l’inverse de la Mega Drive. Adapter le jeu sur la console 16-bits a été un vrai cauchemar.
Après Altered Beast, vous avez conçu le célèbre Golden Axe ? D’où vient l’inspiration de ce titre ?
Pour faire simple, j’ai regardé le film Conan le Barbare avec l’ancien gouverneur de la Californie, j’ai fait des recherches sur les illustrations de Boris Vallejo’s et enfin j’ai lu le Seigneur des Anneaux. J’ai tellement été séduit que j’en ai rêvé la nuit, et voilà.
Pouvez-vous nous raconter comment le développement a débuté ? Avez-vous des anecdotes de conception, notamment sur le gameplay, la musique ?
Sur le plan visuel, Altered Beast était une réussite. En revanche, la qualité générale du jeu était assez faible et il y a de nombreux éléments qui devaient être améliorés. Si bien que la priorité pour Golden Axe était de créer un titre de meilleure qualité. Nous avions été séduit par la 2.5D employée par d’autres jeux et nous avons choisi d’adopter cette approche. Toutefois, cette décision a considérablement augmenté la quantité de travail (notamment d’un point de vue artistique) requis. Pour que le sol et le décor correspondent, on pouvait tricher avec un processus assez simple, mais il fallait pour cela que les zones soient parfaitement dessinées. Par ailleurs, si les personnages semblaient plus attractifs de profil, il a fallu qu’on adapte l’angle des héros pour qu’ils s’intègrent bien dans l’environnement. Je me suis vraiment battu pour obtenir un certain équilibre.
NDA : Makoto Uchida s’est entretenu avec le magazine Retro Gamer et on y apprend des choses fort intéressantes. Alors que le développement d’Altered Beast se terminait, SEGA est venu voir le créateur pour qu’il réalise un jeu d’action dans la lignée de Double Dragon. Uchida-san a eu l’idée de créer un beat’em all totalement différent du titre de Technos. Grand amateur de films d’action, Makoto Uchida en a regardé beaucoup avec son père. Et c’est justement pendant le développement de Golden Axe qu’il a découvert le film Conan avec Schwarzenegger. Il a passé beaucoup à équilibrer les visuels (comme indiqué plus haut) mais aussi le gameplay, en comparant cela à un jeu de base-ball. Tout est une question de distance. Enfin, pour autres anecdotes, l’idée des montures (les fameuses créatures que l’on peut utiliser dans le jeu) vient d’un artwork dessiné par l’un des artistes. L’équipe a trouvé ça génial et elle a tout de suite voulu intégrer des montures au jeu. Pour terminer, sachez que le nom « Golden Axe » n’était pas le premier titre sélectionné. D’abord, il y a eu « Battle Axe » mais un problème de licence a empêché son utilisation. Ensuite, c’est le nom « Broad Axe » qui est apparu mais il n’a convaincu personne. C’est finalement le boss de SEGA US qui a donné ce nom « Golden Axe » (il a vu la hache de Gilius et trouvait que sa couleur était dorée). Makoto Uchida révèle que ce nom a totalement déplu à l’équipe mais ils ont décidé d’accepter cette décision. Pour faire correspondre le titre au jeu, Makoto Uchida a changé la couleur de la hache de Death Adder (le big boss de l’aventure) en or (à la place du gris originel). Il reconnait aujourd’hui que ce nom était parfait.
Après Golden Axe, vous vous êtes essayés à un univers totalement différent avec Alien Storm. Pourquoi Alien ? Vous souvenez-vous des préludes de ce projet ?
L’idée derrière Alien Storm vient du film Ghostbusters – il y a même une affiche qui indique « Alien Busters » dans le jeu. L’autre raison qui nous a poussé à utiliser cet univers, c’est que le designer du projet était responsable de Alien Syndrome et il était très fort pour dessiner toutes sortes de créatures cools et effrayantes.
En 1996, les joueurs découvrent Dynamite Deka (Die Hard Arcade en Europe et aux États-Unis) en arcade et sur Saturn. Pouvez-vous nous dire comment ce projet a débuté et pourquoi avez-vous choisi ce film ?
En 1995, j’ai quitté le Japon pour m’installer aux États-Unis? Ma mission consistait à créer un jeu qui soit plus à même de convaincre le public américain. Je me suis donc tourné vers les jeux d’action car c’est un genre particulièrement apprécié par les joueurs américains. À la même époque, j’ai vu le film Die Hard et j’ai carrément adoré ! J’ai donc conçu un jeu dans le même veine, avec le bâtiment, les terroristes et l’arsenal employé. À la fin du projet, l’un des commerciaux a vu le jeu et il s’est écrié « Whow ! Mais ça ressemble à Die Hard, il faut absolument obtenir la licence de la 20th Century Fox ! ». Après plusieurs mois de tractation, il m’a montré le contrat signé par la compagnie cinématographique et c’est ce qui nous a permis d’utiliser le nom « Die Hard Arcade ».
Avez-vous des anecdotes sur le développement? Comment s’est passée la conversion sur Saturn ? Elle est franchement excellente !
Le hardware de Dynamite Deka en arcade est quasiment identique à la Saturn. Grâce à cela, l’adaptation n’a pas été difficile à réaliser.
Pouvez-vous nous dire pourquoi, en mode deux joueurs, il y a un combat entre les deux héros à la fin ? Est-ce un clin d’œil à Double Dragon ?
On savait que beaucoup de joueurs ajoutaient des pièces pour arriver au combat final, mais le jeu s’arrête généralement juste après la défaite du boss, même si la barre de vie est pleine. On a donc voulu rajouter une ultime bataille.
Après cela, vous avez développé Dynamite Deka 2 en arcade et sur Dreamcast. Avez-vous des souvenirs de ce projet ? Comment s’est déroulé le passage de la Saturn à la Dreamcast ?
Convaincue par le succès de Die Hard Arcade, SEGA nous a demandé de réaliser une suite. Dynamite Deka 2 a été conçu sur Model 2, qui est la première carte d’arcade de SEGA permettant d’utiliser des textures (la Saturn n’utilise pas de textures, il s’agit de sprites transformés). Pour Dynamite Deka 2, la partie la plus difficile a été la conversion Dreamcast. On a été obligés de diminuer toutes les données graphiques, ça a été un cauchemar.
L’une des particularités de la série Dynamite Deka, ce sont ses ennemis ! Ils sont vraiment super drôles et délirants avec leurs accoutrements. Pareil pour les armes ! Tout cela était un souhait de l’équipe ?
Oui, bien entendu. Tous les membres de l’équipe adoraient ajouter des choses de plus en plus drôles, et de mon côté, je ne me suis pas gêné !
Pouvez-vous décrire l’ambiance du studio dans les années 90 ?
Ce fut une grande décennie pour nous tous. Nous avions des consoles au top avec la Mega Drive, la Saturn et la Dreamcast mais aussi des licences fortes comme Sonic, Virtua Fighter, Golden Axe, etc. Et puis, nous avions de super créateurs avec Yu Suzuki et Yuji Naka.
Ce fut une grande décennie pour nous tous. Nous avions des consoles au top avec la Mega Drive, la Saturn et la Dreamcast mais aussi des licences fortes comme Sonic, Virtua Fighter, Golden Axe, etc. Et puis, nous avions de super créateurs avec Yu Suzuki et Yuji Naka.
Quand vous regardez les années écoulées, quels sont vos meilleurs souvenirs ? Avez-vous eu des moments difficiles ? Et désormais, quel est votre rôle au sein de SEGA Shanghai R&D ?
En 1989, alors que nous étions en train de développer Golden Axe, nous avons réalisé des tests sur la version alpha. J’étais situé non loin des bornes et je regardais la réaction des joueurs. Un jour, deux enfants ont joué à notre jeu. Ce n’était absolument pas des joueurs confirmés, mais ils paraissaient totalement excités par le jeu. Ils n’ont pas arrêté de mettre des pièces et ils sont finalement parvenus à vaincre Death Adder avec un énorme sourire. C’est assurément le moment le plus joyeux que j’ai vécu dans cette industrie. Ici, à Shanghai, je suis en charge du développement du studio. Nous apportons notre aide sur de multiples projets de SEGA et nous développons de nouveaux jeux pour le marché chinois.
Avez-vous quelque chose à dire à tous les fans et nos lecteurs ? En France, nous adorons vos jeux, ils ont fait partie de notre enfance !
Ici, à Shanghai, nous avons deux versions de Dynamite Deka. Nous avons la version PS2 SEGA AGES 2500 Vol. 26, qui propose le même gameplay que l’original mais avec des graphismes remaniés et de nouveaux modes de jeu. Et puis, nous avons la Dynamite Deka – Asian Dynamite que l’on peut considéré comme le troisième épisode. Il est sorti en arcade en 2007. Je pense qu’il s’agit d’un des jeux les plus drôles dans le monde. À chaque fois que je vois quelqu’un y jouer, il se marre. Il est très rare, vendu à quelques exemplaires. Si vous parvenez à mettre la main, vous serez chanceux ! Mais sinon, n’hésitez pas à regarder sur Youtube.