CHAPITRE 2
EN EAUX PROFONDES
Années
1965 - 1969
Les années 1960 marquent le
déclin des machines à sous. De nombreuses entreprises se sont infiltrées dans
la brèche et ont fait naître une concurrence quasiment irrespirable. Pour David
Rosen, qui a sorti un « Punching Bag » (un sac de frappe
électromécanique) du temps de Rosen Enterprises, Ltd, le constat est
clair : soit l’entreprise se renouvelle, soit elle fonce droit dans le
mur. Avec le marché arrivé à maturité, il a certes réagi avec les machines
d’arcade (allant jusqu’à en exploiter plus de 200 en 1963) mais estime que ce
n’est pas suffisant. Nihon Gokaru Bussan, présidé par Richard Stewart,
distribue divers supports de divertissement (bornes d’arcade, flippers,
billard…) tandis que l’usine Nihon Kikai Seizo, gérée par Raymond Lemaire,
fabrique des machines à sous. C’est également à cette période que l’entreprise
recentre son activité vers le domaine civil tout en conservant quelques
connexions avec les bases militaires. Les machines à sous qui sortent de
l’usine sont destinées à être remplacées par des bornes d’arcade. Pour le chef
d’entreprise, il n’y a pas de doute, elles sont l’avenir ! Mais il faut
aller plus loin, beaucoup loin, que de vendre des marchandises sous licence,
qui sont le fruit d’autres compagnies.
David Rosen est persuadé que
l’exploitation de son usine de fabrication n’est pas optimale. Sur conseils de
Ochi Shikanosuke (un ingénieur apparaissant sur plusieurs brevets de la marque[1]), il décide, en
coordination avec ses principaux bras-droits, de créer la première borne
d’arcade-maison. Pour cela, il fait appel à l’un de ses talentueux designers,
Hisashi Suzuki. L’homme, entré chez
Nihon Gokaru Bussan en 1962, est l’un des tous premiers employés de la nouvelle
entité. Âgé de vingt-trois ans à l’époque et en retraite depuis 2014, il a
participé à une interview pour le hors-série SEGA Arcade History Book du
magazine Famitsu où il raconte :
« À l’époque, nous cherchions du travail et la quasi-totalité des
entreprises qui proposaient des semaines à cinq jours étaient des entreprises
fondées par des ressortissants étrangers. SEGA avait cela mais, en plus, les
troisièmes vendredis de chaque mois étaient un jour de congé ; ce qui
faisait un nombre impensable de vacances.[2] »
[1] https://patents.justia.com/inventor/shikanosuke-ochi
[2] Ken Horowitz, The SEGA Arcade Revolution : A History in 62 Games
Un jour de l’année 1965, alors
qu’il vaque à ses occupations habituelles, il reçoit la visite de David Rosen.
Impressionné par la prestance et le charisme de son patron, le garçon peine à
décrocher un mot et s’attend même à une remontrance. Aussi, sa surprise est
totale lorsqu’il comprend qu’on lui lance le défi de réaliser la première borne
d’arcade de l’entreprise. Bien que savourant l’instant, il mesure la portée du
challenge :
« Avec les jeux vidéo, d’une manière générale, vous pouvez en faire tout
ce que vous voulez tant que vous avez le programme correspondant. Avec les jeux
électromécaniques, vous devez créer toute la structure. Il y a de nombreux
éléments auxquels vous devez penser, de son efficacité au coût en passant par
les fonctions facilitant la réparation. Le design et le développement étaient
deux métiers différents à l’époque. Le développement était là pour proposer un
concept, autrement dit une idée globale de la fonction d’une machine. Le
design, quant à lui, s’assurait d’implémenter ce concept. [3]»
En dépit de sa relative
inexpérience, Suzuki connaît la marche à suivre pour mener à bien sa mission.
Et la première chose qu’il doit faire, c’est de trouver un concept qui soit
suffisamment efficace, à la fois pour son intérêt que sa mise en scène. C’est à
ce moment que l’histoire se délite…
[3] Ken Horowitz, The SEGA Arcade Revolution : A History in 62 Games
L’imbroglio Periscope
La mise en
chantier de cette borne, sobrement nommée Periscope, est un tournant majeur
dans l’Histoire de SEGA et de l’industrie du jeu vidéo. Depuis ses débuts, la
firme s’est toujours attelée à recarrosser des productions américaines
existantes pour les adapter au marché japonais, le tout en obtenant des
licences auprès de constructeurs (Bally, Midway…) reconnus. Par ailleurs, la
concurrence de Taito et d’autres se faisait de plus en plus pressante, les
concurrents n’hésitant pas à s’emparer de points stratégiques. Les opportunités
se faisant rares, SEGA n’a pas eu d’autre choix que de réagir. David Rosen,
nostalgique, revient sur cette décision :
« En 1966, nous avons conçu notre premier jeu que nous avons appelé Periscope. Si vous parlez aux vieux de la veille de cette industrie, tous vous diront que cette borne a été un tournant historique dans le secteur du divertissement. C’était un jeu très simple, vous deviez tirer sur des navires (qui avançaient via un système de chaînes) à travers un périscope. [4]»
À l’image du tir au canard dans les fêtes foraines, la borne réclame une certaine précision et profite d’un système extrêmement ingénieux.
« Nous avions un océan simulé par du plastique, et on avait des lumières qui traversaient l’océan », détaille l’intéressé. « Le joueur devait lancer la torpille afin d’atteindre les navires. Cela paraît très simple aujourd’hui et ça ressemble à ce que l’on pourrait trouver dans les magasins de type Toys’R US. Mais à l’époque, c’était quelque chose de révolutionnaire. Bien sûr, il y avait de bons effets sonores lorsque la torpille touchait le navire et la borne comptabilisait les points en fonction du nombre de navires touchés. Vous avez cinq tirs par partie. [5]»
« En 1966, nous avons conçu notre premier jeu que nous avons appelé Periscope. Si vous parlez aux vieux de la veille de cette industrie, tous vous diront que cette borne a été un tournant historique dans le secteur du divertissement. C’était un jeu très simple, vous deviez tirer sur des navires (qui avançaient via un système de chaînes) à travers un périscope. [4]»
À l’image du tir au canard dans les fêtes foraines, la borne réclame une certaine précision et profite d’un système extrêmement ingénieux.
« Nous avions un océan simulé par du plastique, et on avait des lumières qui traversaient l’océan », détaille l’intéressé. « Le joueur devait lancer la torpille afin d’atteindre les navires. Cela paraît très simple aujourd’hui et ça ressemble à ce que l’on pourrait trouver dans les magasins de type Toys’R US. Mais à l’époque, c’était quelque chose de révolutionnaire. Bien sûr, il y avait de bons effets sonores lorsque la torpille touchait le navire et la borne comptabilisait les points en fonction du nombre de navires touchés. Vous avez cinq tirs par partie. [5]»
Ce produit, star des salons pendant plusieurs années (notamment lors de
l’Exhibition of Amusement Equipment de Londres en 1968), va être le déclencheur
d’une nouvelle politique chez SEGA. David Rosen précise :
« Nous avons conçu cette borne pour le Japon et ce fut un énorme succès. Le succès fut tel que les distributeurs européens et américains ont voyagé jusqu’au Japon pour découvrir la borne. Nous n’avions pas pensé à l’exportation en construisant cette borne. C’était un peu comme un jeu de construction, que nous avons modifié. Finalement, nous avons commencé à exporter la borne mais le prix était environ deux fois plus cher que n’importe quelle machine d’arcade aux États-Unis. De 695 ou 795 dollars, on passait à 1 295 dollars ! Les distributeurs se sont plaints en disant : « Nous savons que c’est une super borne mais on ne peut pas payer 1 295 dollars ! ». Du coup, on leur a répondu de la façon suivante : « Vous savez, c’est très simple, vous mettez la partie à 25 cents et on vous garantit que vous rentrerez dans vos frais. C’est le prix indiqué aux États-Unis. » Et c’est ce qui a lancé SEGA dans le commerce d’exportation. [6]»
Même si Periscope n’est pas le premier titre à exploiter un tarif aussi accessible, il est évident que la promotion « 25-Cent Play » mise en place par Rosen a contribué à son succès phénoménal.
« Nous avons conçu cette borne pour le Japon et ce fut un énorme succès. Le succès fut tel que les distributeurs européens et américains ont voyagé jusqu’au Japon pour découvrir la borne. Nous n’avions pas pensé à l’exportation en construisant cette borne. C’était un peu comme un jeu de construction, que nous avons modifié. Finalement, nous avons commencé à exporter la borne mais le prix était environ deux fois plus cher que n’importe quelle machine d’arcade aux États-Unis. De 695 ou 795 dollars, on passait à 1 295 dollars ! Les distributeurs se sont plaints en disant : « Nous savons que c’est une super borne mais on ne peut pas payer 1 295 dollars ! ». Du coup, on leur a répondu de la façon suivante : « Vous savez, c’est très simple, vous mettez la partie à 25 cents et on vous garantit que vous rentrerez dans vos frais. C’est le prix indiqué aux États-Unis. » Et c’est ce qui a lancé SEGA dans le commerce d’exportation. [6]»
Même si Periscope n’est pas le premier titre à exploiter un tarif aussi accessible, il est évident que la promotion « 25-Cent Play » mise en place par Rosen a contribué à son succès phénoménal.
Mais si Periscope,
disponible mondialement en 1968, est lié à l’Histoire du jeu vidéo, il est important
de signaler que le récit aurait pu être bien différent sans la présence d’une
firme qui deviendra l’un des plus farouches concurrents de SEGA : Namco. Fondée
en 1955 par Masaya Nakamura, Nakamura Seisakusho Co., Ltd (qui deviendra
NAkamura Manufacturing COmpany pour Namco) est à l’origine une entreprise
spécialisée dans la production de chevaux mécaniques à bascule et de manège à
destination des magasins. C’est en implantant ses marchandises au sein de
grandes enseignes qu’elle finit par croiser la route de SEGA. Mais là où
l’affaire devient troublante, c’est que le premier jeu conçu par Masaya
Nakamura se nomme Torpedo Launcher et qu’il s’agit également d’un jeu de
sous-marin. Il est sorti en 1965[7],
soit une année avant la borne de SEGA, et sa ressemblance avec cette dernière
est frappante. À l’exception de quelques détails d’ordre graphique, la
structure est exactement la même. Le seul changement majeur réside dans le
multijoueur dans le sens où le titre de Nakamura – qui n’a pas quitté le sol
japonais – embarque trois cabines pour y jouer en trio. Celui de SEGA, à
l’inverse, est destiné à une utilisation en solitaire, avec une seule et unique
cabine. Pendant un temps, Torpedo Launcher gardera ce nom pour être, plus tard,
renommé… Periscope.
Par conséquent,
nous sommes en droit de nous poser la question ? Qui est le créateur
original de cette borne ?
Si plusieurs
enquêtes ont été menées à ce sujet, dont celle passionnante du site History of
How We Play[8] ,
aucune n’est parvenue à une conclusion définitive. Certains estiment que
Periscope est une création de Hisashi Suzuki et que SEGA a ensuite vendu la
licence à Masaya Nakamura, la date de 1965 représentant la signature de
l’accord et non la sortie du jeu, estimée à 1967. D’autres, en revanche,
certifient que Torpedo Launcher est une œuvre de Namco, que SEGA a adapté en la
renommant Periscope. Namco, se sentant floué, a décidé de surfer sur le succès
du nom Periscope en récupérant ce qui lui appartenait. Qui a raison ?
En se référant
aux documents d’époque, on remarque que SEGA a présenté une version « trois
cabines » de Periscope lors du Hotel Equipment Exhibition se déroulant à
Paris à la Porte de Versailles du 12 au 23 octobre 1967. Il s’agissait d’une
version d’essai dans la mesure où SEGA a, par la suite, quasiment toujours
commercialisé sa borne avec une seule cabine. Lors de l’évènement, l’attente
autour de Periscope était telle que la borne ne générait pas moins de 100
dollars (500 francs, soit environ 76 euros) par jour. Si le Periscope de SEGA
est sorti dans le monde en 1968, il est tout de même étrange que la firme
japonaise se soit essayée à cette démonstration en « triple cabine ».
Une vengeance envers Nakamura ?
[4] Interview de David Rosen, Steven L. Kent, Entertainment Empire of the Rising Sun : A conversation with SEGA Founder David Rosen, 2001
[5] Interview de David Rosen, Steven L. Kent, Entertainment Empire of the Rising Sun : A conversation with SEGA Founder David Rosen, 2001
[6] Interview de David Rosen, Steven L. Kent, Entertainment Empire of the Rising Sun : A conversation with SEGA Founder David Rosen, 2001
[7]Listing japonais officiel de Namco - https://product.bandainamco-am.co.jp/am/info/pdf/drop0903_list_090324.pdf
[8] History of How We Play, https://thehistoryofhowweplay.wordpress.com/2017/06/16/who-created-periscope, 16 juin 2017
Au milieu des
années 1960, SEGA et Taito étaient bien plus importants que la future Namco et
il y a fort à parier que la petite entreprise n’avait pas les moyens de se
défendre face à ces mastodontes. Cela n’a pas empêché des structures plus
modestes de copier allègrement le concept. Dès 1967/1968, des clones de
Periscope ont vu le jour et il n’était pas rare de retrouver plusieurs
Periscope différents dans la même salle d’arcade. La véritable histoire de
Periscope, malgré les analyses poussées de tracs et autres publicités d’époque,
reste donc chargée de mystères. La piste la plus plausible reste que le concept
est bien l’œuvre de Masaya Nakamura. L’homme, qui avait l’habitude de négocier
avec les gérants d’enseignes, a probablement installé une borne unique sur l’un
des toits des magasins de Tokyo. En ce temps-là, l’entreprise ne possédait pas
d’usine (elle sera construite et fonctionnelle en 1966) mais elle était réputée
pour ses jeux de grande envergure. Elle est en effet à l’origine du Roadway
Ride, un jeu de course électromécanique qui faisait fureur sur le toit du
Mitsukoshi Department Store à Tokyo. Cette enseigne, Mitsukoshi, deviendra par
la suite un partenaire privilégié de Nakamura.
L’attraction Torpedo Launcher (発 射 機) n’a sans doute pas échappé à
SEGA. C’est peut-être Rosen ou son employé Hisashi Suzuki qui ont jugé le
concept fantastique et qui ont décidé d’en faire leur propre version. Le nom
« Periscope » proviendrait, en revanche, de SEGA. Le succès du titre
fera que des sociétés européennes, notamment Mayfield Electronics,
s’empresseront de récupérer le concept pour imaginer leur propre version du
jeu. Le site The History of How We Play va même jusqu’à souligner que le
constructeur anglais a fait breveter son propre Periscope, intitulé Submarine
Patrol, quelques semaines après le salon ATE où était présenté… Periscope de
SEGA. Une autre firme britannique, Nixsales, a également sorti sa copie appelée
« Action Stations ». C’est dire le flou qui règne autour de cette borne.
Flou qui se densifie lorsque l’on apprend que des bornes, qui n’ont rien à voir
avec l’œuvre japonaise d’origine, prenaient elles aussi les traits d’un jeu de
sous-marin (c’est le cas d’Undersea Raider de Bally, de Torpedo Shoot de
Mayfield Electronics…), certaines allant même jusqu’à être renommées Periscope
pour profiter du naming à succès de la borne d’origine.
On aurait pu penser que Masaya Nakamura, le fondateur de Namco,
allait réhabiliter son statut de créateur mais l’homme est toujours resté vague
à ce sujet. Dans une interview traduite et diffusée sur le site The History of
How We Play, le chef d’entreprise, interrogé lors du numéro de janvier 1977 du
magazine américain Play Meter, apporte quelques détails.
Play
Meter :
« Quel a été le premier appareil de divertissement que vous avez
conçu ? »
Nakamura :
« C’était un jeu de sous-marin appelé Periscope, un jeu à trois joueurs,
trois périscopes installés en parallèle. »
Play
Meter :
« Et quelle a été l’étape suivante ? »
Nakamura :
« Après Periscope, nous avons créé un jeu de chars adapté d’un conflit
historique opposant les forces alliées et les forces allemandes pendant la
Seconde Guerre Mondiale. »
Play
Meter :
« Lorsque vous avez commencé la fabrication de jeux, avez-vous vendu ces jeux
à vos concurrents ou aux opérateurs de distribution de vos jeux ? »
Nakamura :
« Oui. »
Play
Meter :
Le jeu de sous-marin que vous avez mentionné auparavant, vous parlez de
Seawolf ? Mais c’était il y a juste
dix ans. Serait-ce le premier jeu de périscope de tous les temps ? »
Nakamura : « Je
ne crois pas, mais c’était le premier jeu de sous-marin célèbre au Japon. Je
pense qu’il y avait des jeux similaires avant. Cependant, c’était le premier
jeu de périscope célèbre. »
« Le premier jeu
de périscope célèbre ». Il ne précise à aucun moment s’il s’agit de son
œuvre ou celle de SEGA qu’il a adapté.
Le créateur de
Space Invaders, Tomohiro Nishikado, apporte un éclairage encore différent dans
sa biographie :
« Je me souviens bien que mon premier travail
(Nda : Chez Pacific Kyôgô, une filiale de Taito), c’était sur une borne
appelée Periscope. J’étais chargé d’assembler les leviers de ce jeu. SEGA a
aussi sorti un modèle quasiment identique sous le même nom que nous, au même
moment. Aujourd’hui, je suppose que tant de similitudes engendreraient
d’innombrables problèmes, mais à l’époque, personne n’a rien dit. De toute
façon, je suppose que l’idée d’origine de Periscope venait surtout des
États-Unis, et que les modèles de SEGA et de Taito n’étaient que des variantes
réalisées sans licence… [9]»
SEGA, Namco,
Taito… On en est donc réduit à des déductions en attendant que de nouvelles
informations soient, peut-être, exhumées un jour. L’histoire autour de Periscope est si riche
qu’il faudrait une grande enquête pour en comprendre les tenants et aboutissants.
[9] Florent Gorges, Space Invaders, Comment Tomohiro Nishikado a donné naissance au jeu vidéo japonais, 2017
Au
son de la musique
Bureau de SEGA à Osaka au milieu des années 60. |
En plus de
l’exploitation et de la conception de bornes, SEGA a pris très au sérieux une
autre activité. Akira Nagai, ancien directeur de la firme, a participé à une
longue interview dans le cadre de l’ouvrage SEGA Arcade History paru en 2001 et
revient sur une facette assez méconnue du constructeur : « Taito, SEGA et V&V se menaient une
guerre commerciale : Taito importait les machines de Seeburg, SEGA
importait les Rock-Ola et V&V (qui comptait un certain Hayao Nakayama parmi
ses employés) importait des Wurlitzers. C’est au cours de cette période que
vous avez pu commencer à voir proliférer des juke-boxes dans les restaurants,
bars et autres types de commerces. Et pas seulement des juke-boxes, mais aussi
des karaokés ainsi que la radio et la télévision par câble. La musique
commençait à s’immiscer dans la vie quotidienne et SEGA était en première
ligne. [10]»
La musique !
SEGA s’est intéressée à l’émergence des stations radio et à la multiplication
des titres durant les années 60, au point de posséder… un studio
d’enregistrement. Akira Nagai
précise : « On comptait près de
700 000 enregistrements ! Nombre de chanteurs sont venus dans nos
locaux pour des campagnes de promotions. […] Nous faisions dans tous les
genres, de l’enka à la pop. Parallèlement à notre activité d’approvisionnement
sur les bases américaines, nous avons également orienté nos affaires de façon à
cibler le grand public. Nous avons vendu des machines à sous à des
établissements japonais, qui à 1 000 dollars la machine, nous rapportait
360 000 yens (environ 1 050 euros en prenant en compte le taux de
change historique) à la vente. Malheureusement, les lois ont par la suite
changé et nous avons dû abandonner cette activité. […] Avec ces toutes
nouvelles interdictions, nous avons lâché ce secteur pour nous concentrer sur
les juke-boxes, puis nous avons commencé à importer des flippers. Cependant,
les juke-boxes commençaient à être en concurrence avec les karaokés qui, peu à
peu, grignotaient des parts de marché. [11] »
À l’époque, ces
appareils étaient installés dans la rue et les lieux publics et non pas dans
des cabines privées. Pour contrer cette concurrence, SEGA a alors mis en avant
les points forts des juke-boxes, à commencer par le choix de l’utilisateur. Là
où le câble diffuse des titres aléatoires, le juke-box permet à l’intéressé de
sélectionner ses morceaux favoris et de les écouter à loisir. Cette campagne a
été un succès et l’entreprise tokyoïte a pu développer son catalogue musical
pour se diversifier.
[10] Traduction française de Shmuplations, Beyond the Galaxy, http://beyondthegalaxy.over-blog.com/2018/08/sega-arcade-history-les-annees-fondatrices.html, 28 août 2018
[11] Traduction française de Shmuplations, Beyond the Galaxy, http://beyondthegalaxy.over-blog.com/2018/08/sega-arcade-history-les-annees-fondatrices.html, 28 août 2018
Les Games Corners
Réunion du conseil d'administration de SEGA. En partant du bout de table vers la droite : Richard Stewart, David Rosen et Raymond Lemaire. |
Bien évidemment,
l’activité musicale, si elle avait son importance, était sans commune mesure
avec le boom des jeux électromécaniques. « Avant Pong d’Atari, il n’y avait pas de Game Center »,
explique Akira Nagai. « On trouvait
plutôt des « gun corners » dans lesquels on pouvait s’adonner à des
jeux de pistolets optoélectronique mais pas de jeux vidéo. Techniquement, SEGA
ne gérait pas cette affaire en solo. Nous avons fusionné avec Rosen Enterprises
en 1965. On a ouvert nos premiers gun corners à Hibiya (Tokyo) et Umeda
(Osaka). Nous avons aussi importé des flippers et des jeux à pistolets
fabriqués par Midway, une compagnie américaine. Un peu plus tard, nous avons
connu le boom du bowling au Japon, et les salles dédiées ont fusionné avec les
gun corners pour devenir des « games corners ». Nous avons amené une
grande variété de machines américaines, mais elles étaient déjà usées puisqu’il
s’agissait de matériel d’occasion. [12]»
Akira Nagai explique ensuite que l’utilisation de ce matériel était un calvaire
car les machines tombaient sans arrêt en panne. C’est en partie ce qui a poussé
SEGA à développer ses propres jeux d’arcade, en comptant notamment sur sa
capacité de production grâce à l’usine Nihon Kikai Seizo. Il poursuit :
« C’est là la naissance officielle
de SEGA. Tout cela grâce au boom du bowling et à l’expansion des games
corners. De plus, on commençait à trouver sur les toits des grands magasins des
games corners. Ces zones étaient la propriété de nouvelles entreprises de jeux
très fortes dans leur domaine comme Namco. Des entreprises telles que Taito et
SEGA ont commencé avec des investissements étrangers en ciblant initialement
les bases de l’armée américaine. Notre activité a débuté avec les juke-boxes et
les flippers et s’est ensuite étendue aux gun corners, nous avions un business
model très différent de Namco, donc nous n’étions pas directement en
concurrence avec eux. [13]»
Dans le sillon de
Periscope, SEGA a sorti plusieurs jeux électromécaniques. C’est le cas de
Basketball qui, comme son nom l’indique, est un jeu de basket paru en 1966.
Reconnaissable à son dôme translucide, il s’agit d’un titre qui ressemble
énormément à Basketball de Midway et à Taito Basketball. Le concept est assez
simple à comprendre, il faut imaginer deux joueurs de chaque côté de la borne,
positionnés face à un panneau de commandes. Sur ce panneau se trouvent quinze
boutons pressoirs numérotés qui actionnent des tiges au niveau du terrain. Ces
tiges sont implantées dans des trous marqués par des chiffres (en noir ou rouge
selon le joueur) et correspondant, pour chacun des trous, à un bouton pressoir.
Il faut alors doser la pression sur les boutons pour déplacer la balle sur le
terrain et l’envoyer dans le panier adverse. L’idée, toute simple mais
intelligemment mise en scène, a conquis immédiatement le public. Les parties
coûtaient entre dix et vingt cents et l’avantage était qu’on pouvait y jouer en
solo (dans ces conditions, le joueur actionne les boutons noirs) comme en duo.
Vue de Sega Enterprises, Ltd. à Haneda, près de l'aéroport. |
En 1967, ce fut
au tour de Rifleman de rejoindre les games corners. Prenant pour univers le
western, cette borne est d’une complexité rare dans sa conception mais d’une
ingéniosité folle. Grâce à la lunette du fusil, le joueur doit viser des cibles
en regardant l’objectif afin d’obtenir le meilleur score. Mais là où la machine
fait fort, c’est qu’elle est équipée d’un poinçonneur automatique qui
positionne l’impact des tirs sur un carton représentant les cibles. Le ticket
en question est ensuite poussé et récupéré par le joueur grâce à une petite
ouverture sur le côté de la borne.
SEGA, voyant sa
popularité grandir, décide de mettre les bouchées doubles et multiplie les
projets : de la voiture avec Drivemobile et Grand Prix, de la chasse aux
canards avec Duck Hunt (!), du sauvetage aérien avec Helicopter (via une tige qui
déplace l’appareil sur un plateau), du football façon babyfoot avec Mini
Futbol, du ping-pong décalé avec MotoPolo et du tir avec Combat, Missile ou
encore Gun Fight. Cette profusion de titres, parus entre 1967 et 1969, va alors
avoir un effet négatif sur le public. Qui ne restera pas sans conséquences…
[12]
Traduction française de
Shmuplations, Beyond the Galaxy, http://beyondthegalaxy.over-blog.com/2018/08/sega-arcade-history-les-annees-fondatrices.html,
28 août 2018
[13]
Traduction française de
Shmuplations, Beyond the Galaxy, http://beyondthegalaxy.over-blog.com/2018/08/sega-arcade-history-les-annees-fondatrices.html,
28 août 2018