Comme pour le cinéma, la démocratisation du jeu vidéo au public de masse (alors qu’il s’agissait autrefois, dixit les médias, d’un loisir pour boutonneux ou autres geeks hors de leurs pompes) et l’explosion des coûts de production a conduit les éditeurs à succomber à la loi des séries. Et cette accumulation de jeux autour d’une même licence a failli faire de gros dégâts par le passé. On peut notamment parler de Tomb Raider, la poule aux œufs d’or d’Eidos, qui a été essorée à l’extrême jusqu’à revivre de fort belle manière, ou encore d’Assassin’s Creed, qui répond dorénavant à un calendrier plus raisonnable. Pour Far Cry, le sentiment est un peu le même. Saluée lors de sa première trilogie, la franchise s’est enfoncée dans du grand spectacle et une redondance qui a fini par la desservir. Aussi, et même si les bandes annonces étaient plutôt alléchantes, nombreux étaient ceux à se méfier ce sixième épisode. Eh bien, pour moi, c’est tout vu, c’est le meilleur depuis longtemps.
Yara, une île tropicale inspirée de Cuba, est sous le contrôle d’un tyran, Antón Castillo, campé par l’acteur Giancarlo Esposito (Fring dans Breaking Bad). Rappelant les antagonistes cruels des précédents Far Cry, cet individu règne en maître sur la région et terrorise les provinces allant d’Esperanza, la capitale, aux petits villages bordant les eaux turquoises du secteur. Manipulateur et prêt à tout pour conserver son trône, le dictateur réduit son peuple en esclavage afin de produire du Viviro, un traitement bidon et toxique issu des cultures du tabac. Pour mener à bien sa « petite » opération, le grand manitou ne recule devant aucune exaction : propagande, exécutions, enlèvements, torture, travaux forcés… Bref, un vrai bon gars ! Le jeu démarre en révélant les contours ténébreux du personnage et celle ou celui qui doit l’arrêter : Dani Rojas. Femme ou homme au choix (j’ai choisi personnellement un protagoniste féminin), l’avatar rejoint rapidement le groupe révolutionnaire Libertad visant à stopper le tyran des lieux.
LIBERTÉ
À l’inverse des précédents héros, Dani Rojas est une personnalité loquace à laquelle on s’identifie rapidement. Les atrocités de Castillo sont telles qu’on nourrit de la colère contre cet individu et le caractère bien trempé de Rojas (encore plus marqué dans son rôle féminin à mon sens) donne de l’allant aux pérégrinations du joueur. Et celles deviennent vite immersives, à défaut d’être originales. Far Cry 6 est un monde ouvert d’une générosité folle. En revenant aux sources de la licence, avec sa jungle, son océan d’un bleu hypnotisant et ses guérilleros prêts à tout pour renverser l’oppresseur, cet épisode remet l’aventure au cœur du récit. Si on retrouve le principe ultra essoré des missions (principales comme secondaires) qui poppent tour à tour sur la map (immense), cette nouvelle itération fait montre d’un gameplay formidablement maîtrisé. Qu’il s’agisse des mécaniques de parkour aux gunfights en passant par la conduite de multiples véhicules (voitures, camions, quads, motos, hélicoptères, avions…), Far Cry 6 met à l’amende pas mal de jeux d’action. Arme à la main, les sensations sont grisantes et le titre a la bonne idée de proposer, en plus du crafting (fabrication puis optimisation de l’arsenal) et de ses dérivés cosmétiques, le suppremo. Cette arme, transportable sur le dos, peut prendre différentes formes (roquettes téléguidées, IEM…) et cause de sérieux dégâts. Le lance-roquettes du suppremo est d’ailleurs si pratique contre les hélicos ou les batteries anti-aériennes qu’on a tendance à le conserver sans changer. C’est d’ailleurs en faisant tout péter ou presque – un peu à la manière de Just Cause – que l’on progresse le sourire aux lèvres. Si l’infiltration est possible, elle n’est vraiment pas adaptée à un jeu comme Far Cry 6.
JURASSIC WORLD
Le titre d’Ubisoft ne réinvente pas l’univers de l’action/aventure en monde ouvert, mais il le fait avec respect du joueur. Si on passera rapidement sur les petites nouveautés amusantes comme le combat de coqs ou le fait d’évoluer en caméra à la troisième personne dans les camps (pas très utile à mon sens), il est indispensable de s’essayer à certaines missions pour comprendre que Far Cry 6 tente des choses. Lors d’objectifs spéciaux, le joueur est ainsi amené à traverser un parc préhistorique, à se rendre dans une bâtisse lourdement protégée pour voler un appareil… qui doit être refroidi sous peine d’exploser ! L’engin ne supporte pas la chaleur et il faut donc se mettre à l’ombre, se foutre le derrière dans la flotte ou arroser l’objet avec de l’eau pour atteindre l’entrée du parc et se casser. Mais, bien évidemment, toute la Antón « Family » Castillo débarque et vous allume ! Entre les tirs rasants et cette foutue bombe prête à exploser à tout moment, cette mission est juste dingue ! Le problème, c’est que ces missions spéciales ne font pas partie de la trame principale et il y a donc fort à parier que beaucoup vont malheureusement passer à côté. C’est dommage, mais ça n’enlève pas le côté ultra fun de ce sixième volet. On prend un énorme plaisir à dézinguer les batteries anti-aériennes pour ensuite survoler l’ensemble de l’île. Et difficile de ne pas craquer devant Guapo le crocodile de compagnie ou le chien Chorizo. Alors oui, c’est cliché, oui c’est du déjà-vu et oui, on connaît cette recette depuis ouat mille ans. Mais le truc, en tout cas en ce qui me concerne, c’est que Far Cry 6 m’a beaucoup plus intéressé que ses prédécesseurs. Reprendre le contrôle de Yara en mettant à mal la politique dévastatrice de Castillo, ça a quelque chose de jouissif, surtout quand on sauve la population et qu’on terrasse les proches – tout aussi sadiques – du dictateur. D’autant que la carte, probablement gigantesque, accompagne une durée de vie colossale.
VACANCES PAR PROCURATION
En s’imprégnant de Cuba, les développeurs ont réussi à créer une île aux mille facettes. On dit souvent que les mondes ouverts sont une solution de facilité et qu’ils sont souvent vides, mais Far Cry 6 a fait l’objet d’un travail assez remarquable de ce côté-là. Les sentiers, les falaises, les étendues d’eau, la ville d’Esperanza, les villages côtiers, les camps de fortune… Yara est pleine de vie ! Et si on note quelques problèmes de clipping (apparition tardive de décors ou d’éléments lointains) et des textures grossières par endroits, cela ne gâche pas l’expérience. Il y a toutefois un pan que Far Cry 6 ne maîtrise pas du tout, c’est son intelligence artificielle. À mon sens, c’est clairement le principal défaut de l’aventure, tant les armées de Castillo sont connes comme pas permis. Les ennemis foncent tout droit vers une mort certaine sans chercher à contourner la cible. À côté, les amigos (les animaux qui nous accompagnent) semblent bien plus futés. Et on ne parlera pas des conducteurs et conductrices qui font parfois n’importe quoi sur la route. Ok, c’est drôle, mais ce n’est vraiment pas réaliste. Malgré ces failles, on passe un bon moment, de jour comme de nuit, à arpenter les chemins et routes de Yara. Cela pourra paraître bizarre à certaines personnes, mais ce sixième épisode a quelque chose de viscéral (les finish sont bien trash) et d’hypnotisant. Cela nous pousse à avancer pour découvrir ce qu’il va advenir du fils de Castillo. Les dialogues, surtout ceux de Cortez, sont également bien fichus et tout cet ensemble fait qu’on a bien plus d’empathie pour Dani qu’on pouvait en avoir pour les autres protagonistes de Far Cry. Et de ce fait, on accroche et il y a tellement de choses à faire qu’on peut picorer le jeu par petites touches.
TRÈS BON
En tant que défouloir, Far Cry 6 remplit son rôle à la perfection. Avec son île de Yara gigantesque, ses missions par dizaines et ses activités en pagaille, le jeu d’Ubi offre un panorama d’exception et d’excellentes sensations. S’il ne réinvente à aucun moment le principe des mondes ouverts, sa générosité, son dynamisme et ses personnages forts en gueule font qu’on s’attache à cet univers. Far Cry 6 n’est pas là pour être un jeu d’auteur ou jouer sur le côté émotionnel, il est plus une expérience interactive à la Michael Bay, où on prend plein les yeux en faisant tout péter. Et sur ce point, il est bien meilleur que ses prédécesseurs récents.
Points positifs :
L’île de Yara rafraîchissante et dépaysante
Un héros/une héroïne charismatique et fort(e) en gueule
Durée de vie démente
Certaines missions (spéciales) géniales
Castillo est un antagoniste intéressant
Gameplay très solide
Points négatifs :
IA à revoir
Pas mal de quêtes Fedex
La vue TPS dans les camps, mouais…
Éditeur : Ubisoft / Développeur : Ubisoft / Genre : Action-Aventure / Date de sortie : 7 octobre 2021 / PEGI : 18 / Supports : PS5, PC, PS4, Xbox Series X/S