Pen Pen, les coulisses du Fall Guys de la Dreamcast !

Alors que la console Dreamcast fêtera très prochainement le 25ème anniversaire de son lancement européen, j’aime me replonger depuis plusieurs semaines dans les coulisses des jeux un peu oubliés de la machine. Si j’ai longuement travaillé sur l’histoire de SEGA et la création des différentes consoles de la marque, ne serait-ce qu’à travers mes deux ouvrages Génération SEGA disponibles chez Omaké Books, je pense qu’il reste encore plein de titres dont nous avons très peu d’informations. Alors que l’interview concernant Hydro Thunder est entre les mains des intéressés, j’ai décidé de vous faire patienter en revenant sur le Fall Guys de la Dreamcast, le bien-nommé Pen Pen ! Celles et ceux qui me connaissent et suivent régulièrement l'émission Recalbox le savent, j'en parle assez souvent donc je me suis dit qu'il était temps de se pencher sur son cas. Enjoy !

Un retour en arrière s’impose. Nous sommes le 27 novembre 1998 et la Dreamcast de SEGA arrive dans les boutiques japonaises avec quatre jeux : Virtua Fighter 3 Team Battle, Godzilla Generations (et sa carte mémoire collector Atsumete Godzilla), July et Pen Pen TriIceLon. En attendant de revenir sur le cas de Godzilla prochainement, on va faire un point sur ce jeu qu’on peut comparer à un Fall Guys avant l’heure. On l’oublie parfois, mais sortir un jeu vidéo pour le lancement d’une console est un véritable challenge en raison des fluctuations du hardware durant la période de développement. Par son approche, PenPen TriIceLon pouvait surprendre lors de son annonce, mais en réalité, il n’est que la résultante d’une réflexion assez logique.


PAS LA PEN DE COURIR…

Forts de leur expérience sur SEGA Rally, Panzer Dragoon Zwei, Ristar ou encore Le Manoir des Âmes perdues, les réalisateurs Tomohiro Kondo et Atsuhiko Nakamura ont su garder les pieds sur terre au moment de s’atteler au projet. « Nous voulions absolument sortir le jeu en même temps que la Dreamcast », dégaine Tomohiro Kondo. « Si nous avons décidé d’être présent pour le lancement de la console, c’est parce que nous voulions être les premiers à proposer ce type d’expérience sur la machine. Mais ce n’est pas la seule raison. Nous voulions aussi nous prouver à nous-mêmes que nous étions capables de nous améliorer, de monter d’un cran. On voulait voir jusqu’où on pouvait aller avec une équipe de 11 personnes. À partir de là, on a cherché à trouver un concept intéressant. Tout le monde dans l’équipe a participé à cette réflexion. » Issu du jeu de mot Triathlon (Tri-iceLon), Pen Pen TriIceLon va naître de la collaboration entre Land Ho ! et General Entertainment (GE), un studio essentiellement constitué de femmes.


En choisissant d’être présent sur la Dreamcast à son lancement, le staff de Land Ho ! et GE le sait : il a très peu de temps. À l’époque, la machine de SEGA n’est pas finalisée et il est donc indispensable d’opter pour un genre de jeu qui puisse être remodelé assez rapidement, en cas de modifications dans le hardware de la console. C’est avec cet idée en tête que l’équipe se met à plancher sur un concept. Tomohiro Kondo poursuit : « Comme nous voulions absolument sortir le jeu en même temps que la Dreamcast, il nous fallait déterminer ce qu’il était possible de faire en un temps limité. Tout a commencé lorsque je me suis demandé s’il était possible de créer un jeu qui puisse intégrer les trois actions principales du pingouin : marcher, glisser et nager. De ce concept sont nés les personnages « Pen Pen » qui tirent leur nom du mot « stylo » en anglais et nous avons choisi de les différencier par des couleurs. » En misant sur un jeu de course à la Mario Kart pour le lancement de la console, les développeurs savent qu’ils n'auront pas de concurrent avant un certain temps. Le défi est grand, mais la motivation de tout le monde est telle que le développement débute dans la joie et la bonne humeur. L’avantage d’une équipe d’une dizaine de personnes, c’est que les informations circulent très vite et que chacun peut aller de sa proposition. « À partir de la validation du concept, nous avons discuté de la manière dont nous pouvions représenter ces personnages afin de profiter de leurs actions et de leurs expressions. C’est ainsi que le premier prototype a vu le jour. », relate Tomohiro Kondo.



… IL FAUT PARTIR À POING

En se basant sur les mouvements du pingouin, les artistes ont travaillé à l’élaboration de créatures aquatiques rigolotes. On trouve donc un requin, un hippopotame, une pieuvre, un morse, un pingouin, etc. Très bariolés, ces personnages ont des looks totalement loufoques, mais ils ont surtout une enveloppe corporelle qui ressemble un peu à de la guimauve. Et il y a une raison à cela, comme le note Kondo-san : « Notre intention, c’était de créer une relation entre les personnages. Qu’ils s’agglutinent, qu’ils jouent des coudes, puis qu’ils remontent dans le classement. » Pen Pen TriIceLon est ainsi un jeu de course à dominante multijoueur et qui rappelle le concept d’Extreme Sports, à savoir que l’on participe à une course découpée en plusieurs phases : marche, glisse et nage. Cet ordre peut varier en fonction du tracé, mais vous l’aurez compris, tout respire le fun, les couleurs et la bonne humeur. Chaque piste (sucreries, jungle, jouets et horreur) existe en trois longueurs (courte, moyenne, longue) synonymes de difficulté exponentielle. Autrement dit, à mesure que l’on progresse, on rencontre des adversaires un peu plus nerveux et des obstacles visant à ralentir le joueur. À quatre joueurs en écran splitté, cela devient un grand n’importe quoi et on ne peut qu’être séduit par la finesse des graphismes et ce ton cartoon pleinement assumé. « Pen Pen a été pensé que pour tout le monde puisse y participer et vivre des renversements de situation, même quand on est un joueur débutant », raconte Atsuhiko Nakamura. « Les différentes zones (marche, glisse, nage) ont été conçues pour que chaque personnage, qui dispose de caractéristiques qui lui sont propres. » Il poursuit : « Ce n’est pas le genre de jeu où la moindre erreur peut être fatale. Nous voulions que le jeu soit accessible à tout le monde. Pour rendre intéressant le jeu, nous avons fait en sorte que les meilleurs joueurs ne soient pas avantagés. Ce n’est donc pas la personne qui fait le maximum d’efforts qui gagnera toujours. En réalité, il y a une part de chance, notamment de la façon dont on surmonte les obstacles. Nous voulions que le déroulement du jeu soit différent à chaque partie. »


LES POURSUIVANTS À LA PEN ?

Bien que réalisé en un temps record d’un peu plus de deux mois (pour la conception même du jeu), Pen Pen propose des idées vraiment intéressantes, à commencer par sa zone de dépassement marquant la transition entre chaque section. Tomohiro Kondo précise : « Comme on voulait que les personnages jouent des coudes, nous avons conçu ce qu’on appelle « la zone de dépassement », autrement dit une zone qui donne la chance aux poursuivants de rattraper les joueurs en tête de la course. » Comme chaque personnage a ses forces et faiblesses (cela peut être la marche, la nage, la glisse, etc.), cette zone de transition entre deux épreuves peut soudainement voir remonter les poursuivants, de la même manière qu’une section sera profitable à certains participants et pas à d’autres. Certains sont d’excellents nageurs, mais de piètres marcheurs. D’autres sont de véritables adeptes de la glisse, mais nagent très lentement. Pen Pen n’est jamais avare en retournements de situation. En revanche, il avait des doutes sur l’équilibre à obtenir, comme le raconte Nakamura-san : « Je craignais que les joueurs en tête ne soient désavantagés avec ce système, ça n’aurait pas eu d’intérêt. Il a donc fallu se démener pour trouver un bon équilibre. Autrement dit, si vous parvenez à entrer en premier dans une zone de dépassement, vous avez de grandes chances d’en sortir premier. Nous avons passé beaucoup de temps à ajuster les différentes sections, notamment la zone de glisse et comme dans SEGA Rally et Daytona USA, nous avons fait en sorte que chaque personnage soit un peu comme une voiture, avec ses forces et faiblesses. »

 


On retrouve cette envie de bien faire dans la manière dont les tracés ont été dessinés. « Nous avons pensé qu’il serait plus intéressant de créer des pistes en forme de parcours avec une zone dédiée, plus large, pour la natation, de manière à ce que les joueurs puissent nager dans des zones un peu plus vastes. Nous avons été très satisfaits car tout s’est déroulé quasiment comme nous avions l’imaginé. » souligne Atsuhiko Nakamura. « Pen Pen a été pensé que pour tout le monde puisse y participer et vivre des renversements de situation, même quand on est un joueur débutant. Les différentes zones (marche, glisse, nage) ont été conçues pour que chaque personnage, qui dispose de caractéristiques qui lui sont propres, s’y retrouve. » Il conclut : « Ce qui est génial, c’est que les environnements sont beaucoup plus vastes et l’interaction entre les personnages bien plus intéressante que ce que nous avions espéré. Jusqu’à la toute fin du développement, nous avons passé beaucoup de temps à ajuster le jeu, et notamment les ralentis. En ce sens, je pense que nous avons pu proposer l’un des genres idéaux pour un jeu de lancement. On voulait vraiment que des joueurs de tous horizons puissent s’amuser. » Tomohiro Kondo acquiesce : « Nous avons eu quelques problèmes en raison du calendrier serré, mais au final, ça nous a servi pour atteindre un résultat encore meilleur à ce à quoi nous nous attendions. »

 



Lors de sa sortie en novembre 1998, tout le monde a souligné la finesse visuelle et les couleurs de Pen Pen TriIceLon. Les programmeurs avaient déjà travaillé sur Mega Drive et Saturn, mais se heurtaient très souvent à des contraintes. Avec la Dreamcast, ils ont pu effectuer des calculs d’une précision inédite, ce qui leur a permis de jouer sur les effets, sur les particules, sur les déformations, etc. Akihito Wada, l’un des programmeurs, ajoute : « En fait, le hardware a progressé de manière positive durant le développement. L’architecture de la console a vraiment évolué en même temps que nous. Jour après jour, le jeu était de plus en plus beau et impressionnant. » S’il n’a pas marqué les esprits à sa sortie, il reste tout de même l’un des titres qui a rencontré un beau succès d’estime lors des premiers mois d’existence de la Dreamcast. Certains vous diront que Fall Guys n’a rien inventé, mais une chose est sûre, n’hésitez pas à relancer ce soft qui vous procurera quelques courses bien fun en famille ou entre amis.

PEN PEN EN ANECDOTES

La notice occidentale a été censurée par rapport à son équivalent en japonais. L’un des personnages fume un cigare et celui-ci a disparu chez nous.


5 000 points de vente lors du lancement de la Dreamcast

Jouable à 4 joueurs en simultané via écran séparé

SEGA a fait appel aux doubleuses et doubleurs de l’agence Osawa Office

La production du jeu a duré un peu plus de… 2 mois (!)

Les ajustements les plus nombreux ont eu lieu lors de la dernière semaine

La caméra a été positionnée définitivement au dernier moment et les programmeurs ont eu pas mal de problèmes pour régler le mode 4 joueurs.

Un disque de l’OST du jeu est sorti peu de temps après le lancement de la console.


SOURCES


HG101 – Pen Pen TriIceLon – Steven Barbato, 1er mai 2021

GameFaqs – Pen Pen TriIceLon

Consoles + n°80, n°83

Dreamcast Magazine n°2

Joypad n°78

Joypad n°79

Player One n°93

Player One n°103

Playmag n°28

Dreamcast Magazine JP n°1

Dreamcast Magazine JP n°2

Dreamcast Magazine JP n°3

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