25 ans de la Dreamcast : l'histoire du lancement français

Le 14 octobre 2024, la Dreamcast de SEGA a fêté son vingt-cinquième anniversaire. Même si j'ai eu la console un peu plus tard à l'époque, cette machine cristallise de tels souvenirs qu'elle demeure ma préférée. À une époque où le média et son public se tournait vers les grandes aventures cinématographiques en solo, votre serviteur a été totalement conquis par la proposition de la console à la spirale. N'ayant plus rien à perdre, SEGA a donné les clés de son avenir à ses développeurs créatifs, faisant émerger de véritables œuvres d'art. La Dreamcast a mis de telles claques que sa disparition a été vécue, par beaucoup, comme un tremblement de terre émotionnel. Dans cet incroyable tourbillon d'un peu plus de trois ans, elle a été au cœur de l'attention d'une équipe française entièrement dévouée à sa cause. L'histoire du lancement français est si étonnant que je vous invite à plonger dans ce récit.

Au détour d'une longue conversation avec Frederick Raynal en 2017, je me souviens avoir été interloqué par l'une des révélations de mon hôte. Alors qu'on était en train de parler de sa rencontre avec Kazutoshi Miyake, alors patron de SEGA Europe, il me glissa la chose suivante : « Pour la petite histoire, c'est moi qui ait soufflé le nom de Dominique Cor à SEGA. Miyake-san m'a demandé si je connaissais quelqu'un qui serait en mesure de prendre la direction de SEGA en France et j'ai tout de suite pensé à Dominique. » À l'époque, je travaillais sur le bouquin de Pix'n Love sur la Dreamcast, il n'était pas question de Génération SEGA, mais j'avais déjà commencé à emmagasiner pas mal d'informations, que ce soit auprès de mes confrères ou des développeurs. On peut placer les débuts de l'histoire française de la Dreamcast au milieu de l'année 1998.  


D'EA FRANCE À SEGA


Co-fondateur de la filiale française d'Electronic Arts et fort d'un beau C.V, Dominique Cor aspire à de nouveaux challenges. Alors qu'il est dans la short list des personnes envisagées par SEGA, il mesure le risque d'une telle décision. En 1998, l'entreprise japonaise, jadis conquérante et incontournable, est à genoux en Europe et plusieurs observateurs, à commencer par l'un des collègues les plus proches de Dominique Cor, doutent même de la capacité de SEGA à sortir la nouvelle console sur le vieux continent. À l'époque, tous les feux sont au rouge dans l'hexagone pour la firme de Sonic et le défi à accomplir est colossale, pour ne pas dire quasi impossible à réaliser. Même si l'aura de SEGA est intacte, il faut être sacrément courageux pour se laisser tenter par une telle aventure. C'est justement ce que recherche Dominique Cor à ce moment-là : un challenge passionnant et difficile, porté par l'arrivée d'une toute nouvelle console ultra prometteuse. Mais pour celui qui se souvient avec émotion des années Mega Drive, tout reste à faire. À commencer par convaincre les hautes instances de SEGA...

Dans un premier temps, Dominique Cor se retrouve en Angleterre dans la banlieue de Londres. Au siège de SEGA Europe, il rencontre Kazutoshi Miyake qui a la lourde tâche de remettre l'entreprise sur de bons rails, et notamment chaque filiale européenne. Le personnage n'a pas été choisi au hasard : expert en arts martiaux (au point qu'un mannequin de combat trône dans son bureau), il est très charismatique et ne se laisse pas dicter ses décisions. Sa mission est de redorer le blason de SEGA en Europe et de constituer l'équipe dirigeante de la Dreamcast pour le Vieux Continent. Autant dire qu'il doit prendre les bonnes décisions au bon moment car le temps est compté. Dominique Cor passe ce premier entretien puis rencontre, à Lyon, le président de SEGA tout juste intronisé, Shoichiro Irimajiri (un ancien de Honda, longtemps bras droit de l'emblématique Hayao Nakayama). Puis vient le dernier rendez-vous, celui qui va décider de tout, au Japon. 


L'ENTRETIEN UBUESQUE


Au milieu du mois d'août 1998, SEGA annonce à Dominique Cor qu'il doit se rendre au Japon pour un aller-retour express. Si la situation était celle d'un jeu vidéo, on peut la comparer au boss de fin. Bien qu'écarté de la présidence de l'entreprise, Hayao Nakayama jouit encore d'une forte aura et a toujours un immense pouvoir de décision auprès de l'actionnaire principal, Isao Okawa. Pour Dominique Cor, ce rendez-vous restera gravé à jamais dans sa mémoire. C'est la première fois de sa vie qu'il a l'occasion de se rendre au Japon et il est très excité à l'idée de découvrir ce pays dont tout le monde parle. Incapable de dormir dans l'avion, il atterrit à l'aéroport de Haneda en étant totalement jet-lagué. Éreinté, il décide se rendre à l'hôtel avant d'aller à l'entretien qui est prévu à dix heures du matin. Il se balance de l'eau sur le visage à plusieurs reprises et attend patiemment l'arrivée de la voiture affrétée par SEGA. Les minutes passent et Dominique Cor ne voit rien venir. Il tente d'appeler le numéro qu'on lui a confié, mais personne ne décroche. Désormais en retard, l'intéressé n'en mène pas large et se dit que son aventure chez SEGA va s'arrêter prématurément. C'est alors que le directeur de l'hôtel se pointe et lui annonce, après moult excuses, qu'il se sont plantés de Dominique ! Dominique Cor s'est installé dans le même hôtel que l'équipage du vol d'Air France et il y a eu une confusion entre deux personnes du même prénom ! On imagine la tête du pauvre type qui s'est vu inviter à grimper dans un taxi... 

C'est donc totalement jet-lagué, après une virée en taxi un peu folle à travers Tokyo (le chauffeur a fortement appuyé sur le champignon), que Dominique Cor débarque au siège de SEGA Japon à Haneda. Kazutoshi Miyake, légèrement perturbé par ce qu'il vient de se produire, l'invite à le suivre et tout ce petit monde (Miyake est lui-même accompagné de son supérieur) se retrouve face à un Hayao Nakayama qui parle un anglais très approximatif. Une de ses méthodes bien connue pour déstabiliser son interlocuteur (dans certains cas, il parlait japonais et passait par un interprète volontairement).  Avec les moyens du bord et aidé par Miyake, Dominique Cor va finalement s'en sortir à merveille et obtenir l'aval d'un Nakayama enthousiaste  : "Welcome to SEGA" !  Maintenant, le plus dur reste à faire...


UNE VÉRITABLE RÉSURRECTION



Motivé comme jamais à l'idée de prendre les rênes de SEGA en France, Dominique Cor mesure rapidement le challenge incroyable qui l'attend. En 1998, la filiale française est en ruines, elle sort d'un troisième plan social et ses locaux de 900 m2 à Arcueil dans le Val-de-Marne n'abrite qu'une dizaine de salariés. Le défi est colossal et va être un marathon épuisant. La réputation de SEGA étant au plus bas dans l'hexagone, la grande majorité des grandes enseignes, comme Auchan, sont extrêmement méfiantes. Profitant de son ancien statut de co-fondateur d'EA en France, Dominique Cor multiplie les interviews avec la presse spécialisée, mais aussi généraliste (que ce soit TV, radio, journaux, etc.). Un "calvaire" car il ne connaît, à ce moment-là, pas grand-chose de la future machine. Oui, il l'a vu sous toutes les coutures au Japon, il sait qu'elle est très puissante, mais il n'a pas d'infos plus précises. Un sentiment probablement partagé par Luc Bourcier, alors en charge du lancement français de la Saturn en juillet 1995, qui a appris le prix final de la machine trois semaines avant son arrivée sur le sol français. 

Alors que la campagne publicitaire est gérée à l'échelle européenne (le fameux "Jusqu'à 6 milliards de joueurs"), l'équipe renouvelée de SEGA France va alors aller de miracle en miracle. Épaulé par le vision claire de Dominique Cor, le staff parvient à redonner le souffle nécessaire à la marque. Alors qu'il était question, pendant un temps, de commercialiser la console exclusivement sur Internet - par le biais d'un site dédié - les enseignes décident finalement d'accompagner la Dreamcast en raison de ses nombreuses promesses (technologie embarquée, jeux au lancement, connexion à Internet, jeu en ligne..). Dominique Cor est sollicité par l'émission Capital sur M6 où il se fait cuisiner par Emmanuel Chain qui ne le ménage pas. Impossible, dès lors d'éviter la question piège en référence à l'échec de la Saturn.


À l'automne 1999, après avoir lutté contre l'import et augmenté son effectif de façon drastique (une cinquantaine de personnes), SEGA France est fin prête à dégainer sa machine du futur. Vendue au tarif de 1 690 francs (soit environ 385 euros en tant compte de l'inflation, 257 euros sans l'inflation) et attendue pour le 23 septembre 1999, la Dreamcast connait un petit retard à l'allumage au niveau européen, le temps de se mettre d'accord avec les opérateurs européens pour les infrastructures liées à la connexion à Internet. Elle sort finalement le 14 octobre 1999. À cet instant précis, le rêve est en marche et l'équipe de SEGA France est dans les starting-blocks pour démontrer le potentiel de la machine. Le début d'une folle épopée...
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