Entré chez SEGA en 1978 et actuel PDG et président du studio Arzest, Yoji Ishii est une figure incontournable du jeu vidéo japonais. Créateur de Flicky et de très nombreux jeux emblématiques, il affiche une carrière hallucinante. Pièce maîtresse de la montée en puissance de l'entreprise dans les années 1980, il vit à l'origine d'importants bouleversements aux côtés de personnalités comme Yu Suzuki ou Yuji Naka. Pour notre plus grand plaisir, le journaliste japonais, Fumio Kurokawa, frère de la chanteuse Suzuko Mimori, a interviewé Yoji Ishii pour le site 4Gamer.net et cet entretien fut l'occasion de retracer le parcours d'un des hommes-clés de l'arcade chez SEGA, mais aussi de la Saturn. Inutile de vous dire que c'est de l'or en barre pour toutes celles et ceux qui aiment les coulisses du jeu vidéo. Voici quelques passages qui méritent le détour.
Né en 1955 à Machida, Tokyo, Yoji Ishii a longtemps pensé qu'il allait se spécialiser dans l'entomologie, la science qui s'intéresse aux insectes. Jeune enfant, il avait l'habitude de gravir le Mont Kita (qui n'est autre que la seconde plus haute montagne du Japon après le Mont Fuji) jusqu'à atteindre le huitième station. Sur place, il aimait attraper les papillons. À l'adolescence, cette passion pour les insectes n'a pas disparu, mais de très nombreux hobbies sont venus s'y greffer : skateboard, rollers, frisbee, plongée sous-marine, ski, tennis (qu'il pratique toujours), surf, voile, et d'autres. Yoji Ishii, véritable touche-à-tout aurait pu suivre un cursus classique dans l'entomologie, mais il s'est finalement intéressé à l'ingénierie électronique. À l'université, il fut l'un des premiers étudiants à rejoindre SEGA, très précisément en avril 1978. À l'époque, l'entreprise n'était pas encore dirigée par Hayao Nakayama, mais elle était intéressante pour plusieurs raisons. Il s'agissait d'une entreprise étrangère, sous la direction d'Américains, et les employés avaient deux jours de congés par semaine, ce qui était peu fréquent (cet avantage aura attiré un nombre incalculable de futurs créateurs de renom, dont Yu Suzuki). En plus de cela, elle était située à Haneda près de l'aéroport et c'était donc l'endroit le plus proche des États-Unis.
Au départ, les conditions de travail chez SEGA sont peu évidentes, la faute à des machines électromécaniques qui tombent en panne. Les bornes d'arcade fonctionnant sur circuits logiques ne sont pas encore démocratisées et c'est donc un calvaire pour changer les pièces des machines défectueuses aux quatre coins du pays. En 1979, le fondateur d'Esco Trading, plus grand grossistes de jeux au Japon, prend les rênes de SEGA. Il s'agit bien évidemment de Hayao Nakayama et son arrivée coïncide avec une nouvelle impulsion. Pour pouvoir développer l'entreprise et la faire prospérer, il comprend que SEGA doit créer ses propres jeux en interne et non pas faire appel à des sociétés externes. La raison ? Le constructeur détient 1600 à 1 800 Game Centers à travers tout le pays et les équiper de jeux faits par d'autres studios coûte une petite fortune. En créant ses propres jeux, SEGA fait ainsi une économie considérable, mais elle doit embaucher en masse. C'est pour cela que de nombreuses têtes bien connues (Yu Suzuki, Yuji Naka, et bien d'autres) arrivent entre 1982 et 1984.
Yoji Ishii doit donc mettre à son tour les mains dans le cambouis. On passe rapidement sur sa formation à Gremlin (entreprise américaine rachetée par SEGA) et son rôle sur Monaco GP et Zaxxon, mais ce n'est pas sans expérience qu'il se lance dans la création de Flicky. Créateur et superviseur du jeu, il s'aperçoit que les programmeurs manquent de compétences, à l'inverse de graphistes talentueux qui sortent de l'école. C'est d'ailleurs dans son équipe que va évoluer la regrettée Rieko Kodama. Un jour, lors d'une réunion, Hayao Nakayama pose une question et demande : « Pourquoi SEGA ne parvient pas à faire de bons jeux ? ». Il estime, à raison, que la concurrence est plus régulière et que l'entreprise manque de jeux fondateurs. Sans se démonter, Yoji Ishii lance : « C'est parce que les programmes n'ont pas de compétences techniques suffisamment avancées. » Un silence de glace s'installe, tous les collègues d'Ishii sont nombreux à regarder leurs pompes. C'est alors que Nakayama s'approche d'Ishii en déclarant : « Vous êtes drôle vous, c'est quoi votre nom ? »
Au cours des années qui suivent, Yoji Ishii réalise et/ou supervise Champion Boxing, Teddy Boy Blues (la version arcade de Teddy Boy sur Master System, le premier jeu mettant en scène une idol) ou encore Fantasy Zone, créé pour défier Gradius. Il fut aussi celui qui accompagné Yu Suzki dans son road trip de repérage pour OutRun en Europe. Au début des années 1990, après avoir travaillé sur Shinobi et Golden Axe, il reçoit la mission de trouver des ingénieurs, des planificateurs et des concepteurs pour créer la future console de la marque. Cette machine, qui deviendra la Saturn, a été portée à bout de bras par cet homme qui estimera que la Dreamcast est arrivée trop tôt. Au moment de sa création, la Saturn avait encore soixante projets en développement, mais il reconnait que son équipe était en plein marasme et que les spécifications de la machine ont beaucoup changé durant sa conception. Il finira par quitter SEGA en 1999, année du départ de Hayao Nakayama.